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Analyse des comportements de sobriété chez les jeunes adultes

Épisode 12 - Sophie Lechartre, Docteure en Sciences de Gestion et professeure à l'IUT de Lille

Je crois que c’est sans doute l’un des épisodes du podcast que j’ai aimé le plus !

Et pour cause : je souhaitais depuis longtemps comprendre les mécanismes psychologiques qui poussent certains d’entre nous a opté pour un mode de vie plus sobre pour des raisons écologiques.

Par chance, je suis tombée sur les travaux de Sophie Lechartre, qui aborde justement ce sujet chez les jeunes de 17 à 25 ans.

Dans sa thèse intitulée « De nouveaux modes de vie aujourd’hui à de nouveaux récits pour demain : modalités d’adoption de la sobriété et dynamiques de socialisation aux comportements pro-environnementaux des jeunes éco-concernés », Sophie Lechartre a cherché à comprendre quelles sont les significations attachées à la sobriété par ces jeunes de 17 à 25 ans et quels processus de socialisation les ont conduits à devenir éco-concernés.

Et spoiler : selon les résultats de ses travaux, la sobriété est associée à des renoncements qui permettent de mettre en cohérence valeurs personnelles et actes quotidiens et apportent du bien-être en atténuant l’éco-anxiété à laquelle ils font face.

Alors, quels sont les profils de ces jeunes éco-concernés de 17 à 25 ans ? Ont-ils un socle commun ? Ont-ils été sensibilisés aux questions environnementales par leurs parents et/ou leurs amis ? Comment se renseignent-ils ? Qu’ont-ils changé dans leur quotidien ? Comment leurs proches perçoivent ces renoncements ? Quelles sont les conséquences de ces nouveaux modes de vie plus sobre dans leur quotidien ? Et à quoi aspirent-ils ?

Bref, autant de questions (et bien d’autres) que j’ai abordé dans ce nouvel épisode !

Belle écoute !

CHIFFRES CLÉS

75%

c'est le pourcentage des 15-25 ans qui se disent engagés par rapport aux générations précédentes

71%

des 15-25 ans déclarent parler souvent ou parfois des sujets environnementaux avec leurs géniteurs

55%

des 15 à 25 ans estiment qu'ils sont plus informés que la moyenne des Français sur le sujet environnemental

SOLUTIONS

RESSOURCES

  • De nouveaux modes de vie aujourd’hui à de nouveaux récits pour demain : modalités d’adoption de la sobriété et dynamiques de socialisation aux comportements pro-environnementaux des jeunes éco-concernés (Sophie Lechartre – 2023).

  • Les jeunes de 15 à 25 ans et le crise environnementale : une préoccupation qui se traduit timidement dans les comportements (ADEME – Juin 2023).

  • Les jeunes et la Science : crédibilité des scientifiques et conditions d’optimisation de la confiance dans la parole des chercheurs (IPSOS – Novembre 2021).

  • Les jeunes et la prise en compte des enjeux écologiques dans les études et le monde du travail (Pour un réveil écologique – Juillet 2023) 

TRANSCRIPTION DE L'ÉPISODE

Charlotte Simoni

En préambule de cet épisode, j’ai demandé à Sophie Lechartre ce qui l’a poussé à porter ses travaux sur les jeunes de 17 à 25 ans ou, pour reprendre le terme exact employé dans sa thèse, les « éco-concernés ». Sa réponse : car cette génération est en première ligne des changements climatiques et la dernière à pouvoir faire quelque chose.

Sophie Lechartre

Pourquoi les jeunes de 17 à 25 ans ? Je me suis fondée sur différentes études pour essayer de déterminer un intervalle d’âge. Parce qu’en fait aujourd’hui, avec la vie moderne, il n’y a plus vraiment de seuil, de rite de passage comme il pouvait y avoir auparavant, et il est très difficile de définir ce qu’est un jeune finalement. En me basant sur différentes théories comme celle de la cohorte générationnelle et notamment sur les études qui portent sur la génération Z – alors qu’ils sont un peu controversés – j’ai défini en gros que cette génération des 17 à 25 ans que je pouvais interroger. En fait, c’est ce sont ces jeunes-là qui vont devoir vivre avec les conséquences les plus importantes du dérèglement climatique. Ils sont complètement tributaires des décisions qui vont être prises aujourd’hui ou qui ne seront pas prises d’ailleurs. Et c’est eux qui vont devoir gérer ce bouleversement. Ils vont être exposés à des événements climatiques extrêmes qui vont se multiplier. On le voit depuis quelques années, les étés sont de plus en plus chauds et le GIEC avait établi une frise où on voyait les populations en fonction de leur date de naissance, les températures auxquelles elles allaient être soumise.

J’avais un chiffre en tête : c’était de dire qu’un jeune né aujourd’hui devra émettre 8 fois moins de CO2 que ses grands-parents et entre 8 et 5 fois moins que ses parents. Donc ce sont vraiment ces jeunes-là qui sont le plus exposés. Et après, ils ont le sentiment que c’est à eux de faire les choses parce que les générations précédentes, notamment la génération un peu plus âgée des boomers, n’ont pas du tout pris en compte ces considérations, n’ont pas pris les décisions qu’il fallait. Alors que depuis le rapport Meadows de 1972, on sait qu’il faut changer les choses, qu’il faut changer nos façons de vivre. Et donc c’est pour ça que je me suis intéressée à eux, parce qu’ils sont en première ligne finalement et c’est eux qui devront gérer quelque chose qui va nous arriver à tous, mais pour lesquels on n’a pas de précédent, on n’a pas d’histoire, on ne sait pas comment faire. On a des idées, bien sûr et on sait désormais comment il faut faire, mais on n’a jamais vraiment décidé de prendre le taureau par les cornes et d’agir. Donc c’est pour ça que je me suis intéressé à eux. Camille Etienne qui est une activiste pour le climat le dit très justement : « on est la dernière génération à pouvoir faire quelque chose ».

Charlotte Simoni

Comme expliqué en introduction de ce podcast, l’objectif des travaux réalisés par Sophie Lechartre est de montrer ce qui a poussé ces éco-concernés de 17 à 25 ans à opter pour plus de sobriété. Mais justement, comment définit-on la sobriété ? Qu’englobe ce terme : moins consommer ? mieux consommer ou faire attention à sa consommation dans certains domaines seulement ? Comme l’explique Sophie Lechartre, cette notion ancienne, rattachée à la modération, est d’abord revenue sur le devant de la scène, notamment politique, pour ce qui concerne les usages énergétiques avant d’être rattaché à des changements de pratiques de consommation. Mais je vous laisse écouter Sophie de Chartres.

Sophie Lechartre

Alors en fait, c’est une question un peu piège parce qu’il n’y a pas vraiment de consensus sur la définition de la sobriété. Il y a de plus en plus de de publications, de plus en plus d’articles, de livres et de recherches qui portent sur la sobriété, mais il n’y a pas vraiment de définition. Alors j’ai employé ce terme parce qu’il est venu dans mes recherches et dans mes rencontres avec ces jeunes. Ce terme part du GIEC qui emploie le terme de sufficiency, mais sufficiency n’a pas vraiment de traduction en français. Mais c’est le mot le plus approprié. Il y a certains auteurs qui utilisent le mot se restreindre. Mais le vrai mot c’est sufficiency. En France, on peut le traduire par « suffisance », mais on l’a traduit dans les termes grand public par « sobriété ».

Alors il y a plusieurs façons d’envisager la sobriété. Pour les jeunes que j’ai interrogés, et je pense que ça peut faire consensus, c’est vraiment une réduction de la consommation, une réduction de tout. L’ADEME avait utilisé les termes de « consommer moins », « consommer mieux », mais on a tendance en fait à essayer de compenser. Pour les jeunes que j’ai rencontrés, c’est plutôt consommer moins, consommer moins de tout en fait.

Au départ, la sobriété est employée dans le contexte énergétique, mais le terme est vraiment sorti là. Donc la sobriété énergétique, c’est tout ce qui concerne les transports et le logement. Ensuite, on a la sobriété matérielle, donc tout ce qui concerne la consommation des objets, des vêtements et l’alimentation. Et ensuite, on a un volet qui est le plus difficile pour les jeunes à tenir, qui est la sobriété numérique, qui concerne à la fois la fabrication et l’utilisation de tous les appareils électroniques, mais aussi tout ce qui est serveur, stockage des données, etc. Globalement, mes répondants évoquent une réduction, mais ce n’est pas toujours possible.

On a une chercheuse qui avait défini ce que pouvait être la sobriété en quatre thèmes. D’abord, la réduction absolue, donc je consomme moins, ce qu’elle a appelé les changements modaux. C’est à dire que je vais switcher pour un mode de consommation moins gourmand en ressources. Donc au lieu d’utiliser l’avion ou la voiture, je vais utiliser les transports en commun ou encore mieux le vélo. Tout ce qui est pratique qui permettent d’accroître la longévité des produits. Et la dernière, ce sont les pratiques de partage. Donc le covoiturage, mais aussi les habitats partagés. Par exemple, un immeuble dans lequel on partage une perceuse ou une machine à laver par exemple. Enfin des choses comme ça.

Charlotte Simoni

Vous l’aurez donc compris, les éco-concernés suivis par Sophie Lechartre ont donc tous fait évoluer leur mode de vie vers plus de sobriété. Mais quel est leur profil au juste ? Ont-ils par exemple un socle commun ? Ont-ils été sensibilisés aux questions environnementales dès leur plus jeune âge par leurs parents ou leur cercle social ? Via quel biais se renseignent-ils : les médias ? les réseaux sociaux ? leurs pairs ? En clair, qui les influence ?

Et si vous souhaitez en savoir plus sur le profil de ces jeunes éco-concernés, je vous conseille de lire le tableau 15 de la thèse de Sophie page 207 à 217. Vous le verrez : leurs parcours, leurs modes de consommation et facteurs déclencheurs de changements sont tous différents et passionnants à analyser. Bref, je referme la parenthèse et vous laisse écouter les explications de Sophie Lechartre.

Sophie Lechartre

C’est très difficile pour le coup de généraliser. En fait, il y a plusieurs types de figures. Alors vraiment, ce qu’eux ont mis en évidence, c’est que c’était pour eux des cheminements. C’est à dire que c’est quelque chose qui s’est fait de manière progressive, mais il n’y a pas de socle commun. J’ai rencontré des jeunes qui venaient de familles qui étaient même parfois climatosceptiques, des familles qui ne comprenaient pas leur démarche, donc qui venaient de familles pas du tout sensibilisées.

En fait, il fallait deux étapes pour devenir éco-concerné. Une première étape qui est une étape de sensibilisation et une deuxième étape qui est une étape de conscientisation, qui permet de mettre en place des choses dans sa vie.

Alors il y a la première étape, que j’ai appelé le terreau. Effectivement, si vous avez eu des parents écolos, c’est un bon départ. C’est à dire que ça va vous donner quand même une sensibilité, ça va vous donner envie peut être de protéger la nature par exemple. Puisqu’on parle de nature, le contact avec la nature est très important, le contact avec la nature dans l’enfance. Donc le fait d’aller se promener en forêt, de faire de la randonnée en montagne au bord de la mer, fait que l’on crée des liens avec la nature, avec le non-humain. Ensuite dans ce terreau, il y avait également l’école qui peut jouer un rôle, mais qui n’est vraiment n’est pas très développée. C’est vraiment un rôle qui est mineur. Sauf si on a des enseignants très engagés, dont les jeunes se souviennent et avec qui ils ont fait des projets, des ateliers, etc. Là, ça a déjà un petit peu plus d’influence.

Et après, dans la ligné des générations de Greta Thunberg, et qui peut influencer, ce sont les marches pour le climat, qui peuvent jouer un rôle de déclencheur ou des amis qui avaient déjà des valeurs écologiques. On a aussi une entrée par les considérations pour la santé. « Je fais attention à la santé, je m’intéresse à comment mieux me nourrir ». Et petit à petit, puisqu’on se rend compte que les pesticides, les plastiques ont une incidence sur notre santé, ça peut déboucher sur des considérations écologiques ou une affection particulière pour les animaux, les jeunes qui ont vécu entouré d’animaux. Donc ça c’était le premier niveau. Mais il est difficile de généraliser quand on ne peut pas dire c’est dans l’enfance, on ne peut pas dire c’est l’adolescence, Ensuite on a un deuxième niveau, que j’ai appelé le déclic qui est essentiellement, enfin pour la majorité d’entre eux, du fait des pairs. Ce qu’on appelle les pairs, ce sont les amis, les frères et sœurs et ensuite les réseaux sociaux. Ces derniers sont des pairs virtuels. Et donc ça, c’est vraiment une socialisation qu’on appelle horizontale. En général, on est sur des schémas verticaux des parents vers les enfants, des enseignants vers les élèves. Mais là on est vraiment sur une socialisation horizontale qui est la logique du monde digital. Ça c’est intéressant à voir parce que la génération Z, ce sont des jeunes qui sont nés avec les outils digitaux. Ils ont toujours vécu avec. Ils ne savent pas faire autrement. Il y a aussi concomitamment une grosse demande de recherche d’information. Donc, ils vont être conscientisés par des jeunes comme eux. Et en fait, ça va s’accompagner d’une grosse recherche d’information qui va venir nourrir cette influence et qui va les amener à changer de vie, parce que l’information à laquelle ils ont accès, ils en sont très demandeurs, très boulimiques.

Donc ils effectuent des recherches partout, tout en ayant conscience que tout ce qu’ils voient et lisent n’est pas forcément très fiable. Ils vont aller vers des médias classiques, la presse généraliste, les réseaux sociaux. Et donc ça va s’accompagner de ce que j’ai appelé l’information en dehors de tout cadre éducatif, une forme d’autodidaxie.

Charlotte Simoni

Ce qui ressort des résultats de la thèse de Sophie Lechartre et de ses propos, c’est la grande maturité et le degré de réflexion de ces éco-concernées. Du coup, je me suis demandée ce qui les différenciait de ceux qui n’avaient pas eu le déclic. Est-ce un sentiment d’éco-anxiété plus élevé que les autres ? Une envie d’être utile ? Une quête de sens ? Et surtout, une fois les changements effectués, comment vivent-ils ces renoncements ? À l’inverse, je me suis aussi demandée pourquoi d’autres jeunes du même âge ne franchissaient pas le pas. Est-ce du déni ?  Une forme de climato-scepticisme ? Un rejet des efforts et des concessions à faire sur leur mode de vie. Explications.

Sophie Lechartre

C’est le produit pour moi de la socialisation. C’est à dire qu’ils ont été exposés à des instances de socialisation qui les ont fait réfléchir. Et donc je vous rejoins tout à fait, j’ai été vraiment bluffés par leur maturité, par leur degré de réflexion. Et pourtant, on pourrait croire que je n’ai côtoyé que des jeunes de milieux favorisés ou des jeunes qui ont fait des études. Mais non, j’ai vraiment eu des jeunes de partout en France et de milieux très différents. Des milieux modestes comme des milieux très éduqués ou des milieux de classe supérieure. Mais à chaque fois, vraiment, j’ai été impressionnée. J’ai vraiment une grande affection pour ces jeunes, une grande admiration parce que j’ai passé des moments formidables avec eux et à chaque fois, j’ai été impressionnée par leur degré de réflexion.

Alors ce qui fait qu’ils réfléchissent beaucoup, c’est qu’ils sont quand même pour la plupart assez angoissés. Ils sont angoissés par tout un tas de choses, par notamment un fort sentiment d’urgence. « Il faut agir, il faut faire quelque chose et on ne fait rien ». Donc c’est très angoissant. Et cette angoisse, je pense, les amène à ce que je vous ai dit tout à l’heure, à aller chercher de l’information, à aller essayer de voir ce qu’on peut faire et cela finalement va nourrir leur réflexion. Et puis ils se côtoient entre eux. Ils fréquentent des jeunes qui sont comme eux, parce que souvent c’est trop difficile, c’est trop douloureux de côtoyer des jeunes qui s’en fichent. Et en fait, je rencontre au quotidien d’autres jeunes qui ne sont pas du tout dans cet état d’esprit. Et ce qui les différencie, c’est que c’est une question de maturité. Mais les jeunes que je rencontre au quotidien et qui ne sont pas éco-concernés se différencient par le fait qu’ils considèrent que c’est un trop grand sacrifice, c’est trop de contraintes. Ils n’ont pas envie de franchir le pas. Ils disent : « on sait ce qui se passe aujourd’hui, on ne peut pas l’ignorer, on voit les étés caniculaires, on voit bien que les espèces disparaissent, mais bon, voilà la flemme ».

Aujourd’hui, on nous dit depuis toujours dans notre société que pour être heureux, il faut consommer. Donc si tu veux être heureux, il faut consommer. Et pour réussir ta vie, il faut aller à Dubaï, avoir une montre comme ci, une voiture comme ça. Et ils sont biberonnés à ça. Moi, je suis maman de deux jeunes adultes. Au départ, je les ai élevés comme ça. J’ai été élevée comme ça. Donc c’est un vrai changement de voir les choses d’une autre manière. Donc, il y a une dimension qui est intéressante, qui est vraiment peu explorée, que je n’ai pas encore vraiment explorée, c’est la notion du renoncement. En fait, pour avancer dans la sobriété, il faut renoncer à plein de choses. Il y a un chercheur qui s’appelle Alexandre Monin qui parle des attachements. Il explique qu’il faut renoncer à certains attachements. Et en fait, les jeunes que j’ai rencontrés considèrent que les renoncements sont des étapes nécessaires. Et quand on a en pleine conscience décidé de renoncer, que l’on sait pourquoi on le fait, et bien finalement, ça n’est pas si difficile. Et pour beaucoup d’entre eux, c’est une vraie libération. Et ce qui est très intéressant, qui est finalement une voie positive, une voie d’optimisme, c’est que les jeunes qui ont renoncé à manger de la viande, à prendre l’avion, ils sont très heureux, ils sont très satisfaits. Et finalement, ils éprouvent une forme de bien être de se séparer de quelque chose qui parfois est perçu comme un fardeau.

Je me souviens d’une jeune fille, qui était dans les diktats de la mode notamment. Elle m’a dit « quand on a arrêté de se prendre la tête avec ça, finalement on se sent beaucoup mieux ». On va savourer des plaisirs beaucoup plus simples. Ils se tournent vers des moments de satisfaction, par exemple, se promener dans la nature, s’allonger dans l’herbe. Ils vont revenir à des choses très simples qui leur procurent beaucoup de bien être et les aident à surmonter leur éco-anxiété. Donc c’est une démarche à entreprendre. Ce qui est difficile, c’est ce que j’ai appelé le déclic, le fait de tourner le bouton. Mais une fois qu’on est prêt, c’est beaucoup moins difficile et ça se fait par étape. Il y a une seule chose qui est vraiment difficile, c’est tout ce qui est numérique

Charlotte Simoni

Comme l’explique Sophie Lechartre dans sa thèse : « en se détachant des standards de la société de consommation, ces jeunes eco-concernés développent de nouvelles valeurs, de nouvelles aspirations moins consuméristes et recherchent davantage des plaisirs simples en lien avec une nature qu’ils idéalisent ».

Si ces nouvelles démarches les rendent heureux, je me suis demandée – d’une part – s’ils s’autorisent des écarts ou des arbitrages et – d’autre part – s’ils subissent des critiques ou des moqueries de la part de leur entourage.

Sophie Lechartre

C’est dur et en plus ils sont certains d’être stigmatisés. C’est à dire qu’on on va leur dire : « toi tu es l’écolo de service » ou « tu nous ennuies », « regarde comment tu es habillé, tu n’achètes que des vêtements d’occasion, ça se voit, c’est moche ». Voilà, on est sur ce genre de choses, donc effectivement c’est difficile. C’est la force des convictions je crois. Cela étant, il y a quelque chose qui est très important dont je n’ai pas parlé et qu’on voit sur les réseaux sociaux et qui les aide : c’est qu’ils ne prétendent pas être parfaits. C’est à dire qu’ils ont toujours une marge de progression. Quelque part, ça les aide aussi, mais ils ne prétendent pas être parfaits.

Et il y a quand même quelque chose d’assez consumériste quand même, qui est de dire : on ne doit pas éprouver de frustration parce qu’on sait. Voilà, si je n’ai pas le dernier truc à la mode, ben je vais être frustré. Et donc on les on les a un petit peu éduqué là-dedans et donc ils veulent garder quand même une dose de plaisir.

Ils n’excluent pas parfois de faire des écarts, des arbitrages. Par exemple : un des éco-concernés interrogé a dit « mes grands-parents étaient très pauvres. Ils ne comprennent pas que je ne veuille pas manger de viande. Pour eux, c’est inconcevable. Du coup, quand je vais chez eux, je mange un peu de viande ». Autre exemple : « mes parents habitent très loin, je prends l’avion pour aller les voir parce que si j’y vais en train, je vais voyager deux jours entiers et je les verrai mois. Donc je ne vais pas y aller à chaque fois en avion, mais de temps en temps, oui ». Donc ils s’autorisent des petits écarts.

Enfin après, j’ai pour objectif de faire une étude longitudinale pour voir où ils en sont. Mais plus je chemine et plus leur conviction va se renforcer et plus ils vont trouver de sources de satisfaction. Donc finalement, ce n’est pas une question d’âge je pense, c’est une question de degré de cheminement. Il y a un jeune homme à qui je pense et qui avait 17 ans quand je l’ai interrogé et qui m’a vraiment impressionné. Il a commencé à prendre conscience de tout ça dans l’enfance parce qu’il adorait les animaux et en fait, on lui a expliqué que quand il mangeait du Nutella, il y avait de l’huile de palme et ça allait détruire les habitats des orangs-outans. Il a décidé de ne plus en manger. Il avait moins de dix ans quoi. Ce qui caractérise ces jeunes, c’est leur degré d’information, de connaissance aussi, parce qu’ils sont très souvent attaqués, donc ils doivent avoir des arguments pour se défendre. Pour ce faire, ils vont s’informer pour être capable d’argumenter, de se défendre, d’expliquer.

Charlotte Simoni

En parlant de renoncement, je me suis questionnée sur le rapport à la consommation numérique de ces jeunes éco-concernés. Et pour cause : comme l’explique Sophie de Chartres dans sa thèse et je la cite « la génération Z diffère fondamentalement de ses prédécesseurs, notamment en raison de son accès constant à Internet, qui entraîne des changements profonds des modes de vie et accentue le fossé social numérique avec leurs parents. Le niveau d’intégration technologique dans la vie quotidienne des jeunes d’aujourd’hui est sans précédent par rapport aux générations précédentes ».

Alors justement, est ce que ces jeunes éco-concernés arrivent à réduire cet aspect-là ou est-ce trop compliqué pour le moment ? Et pour ceux qui y arrivent, quelles solutions ont-ils mis en place ?

Sophie Lechartre

Ils le disent : c’est l’aspect le moins écolo de leur vie. Et c’est normal ! Par exemple, s’ils sont dans une association, même une association écologiste, ils communiquent sur WhatsApp, sur des groupes Snapchat Messenger. Ils ont besoin d’Internet pour s’informer. J’ai rencontré un jeune qui m’a dit : « moi je vis de façon rudimentaire ». En clair, il n’a pas de téléphone. Enfin, il a un portable mais pas un smartphone. Il fait tout à vélo, il n’a pas de GPS, il n’a même pas de réfrigérateur. C’est vraiment un choix. Mais il m’a dit : « en revanche, j’ai besoin d’un ordinateur avec Internet parce que c’est ce qui me permet de me relier au monde ». Ils ne veulent pas se couper du monde non plus. Ils ont des tentations qui sont normales, parce qu’il faut comprendre que c’est trop difficile d’affronter le déni, l’inaction. C’est tellement dur pour eux que parfois ils sont tentés de se mettre en marge. Ce n’est pas la majorité. Et donc voilà, le numérique, effectivement, ils ont une conscience, alors ils ont des petits trucs du type « quand j’aurai plus d’argent, j’achèterais plutôt un Fairphone qu’un smartphone », « quand c’est la nuit, j’éteins mon portable ». Voilà des petits trucs comme ça, pour compenser un petit peu. Mais oui, c’est l’aspect le moins écolo et le plus difficile pour eux de réduire.

Mais aussi parce que dans la société de 2024-2025, c’est difficile, même au niveau du travail. J’avais rencontré un jeune homme qui avait refusé d’avoir deux ordinateurs, un ordinateur personnel et un ordinateur professionnel. Après, ils vont essayer aussi de s’orienter vers des métiers, des études qui sont en adéquation avec leurs convictions. Exemple : il y en avait un qui était développeur web et j’ai su que depuis il a arrêté parce que c’était trop incompatible finalement avec ses convictions.

Charlotte Simoni

Autre question : que se passe-t-il après le déclic ? Que mettent en place ces jeunes éco-concernés de 17 à 25 ans ? Y a-t-il des grandes lignes communes ? Et surtout, quelles sont leurs limites ?

Sophir Lechartre

Ça dépend. Pour les transports, ça dépend des infrastructures, ça dépend de ce qu’il est possible de faire. Et ça, c’est un point important car il n’est pas toujours possible de ne pas avoir de voiture. Par exemple, si vous habitez à la campagne ou dans une région en Ardèche, il n’y a pas de train, vous ne pouvez pas faire autrement. Alors en fait, on retrouve quand même beaucoup de choses communes. Assez généralement, c’est la viande, car le plus facile et le plus visible. À cet âge-là, on est en pleine construction identitaire et donc le fait de devenir végétarien, c’est finalement assez simple et c’est visible. Et puis c’est quand même un gros poste d’émission de gaz à effet de serre. Donc la plupart d’entre eux sont au plus bas flexitarien, mais la plupart sont végétariens. Donc ça, c’est la première chose qu’ils font.

L’autre action qui est devenue assez facile aujourd’hui, c’est qu’ils n’achètent plus de vêtements neufs. Ils achètent des vêtements d’occasion plutôt dans les friperies ou les brocantes. Ils essayent d’éviter Vinted qui, vous le verrez très bientôt puisqu’on va sans doute sortir un article là-dessus avec une collègue, n’est pas du tout écolo. Ensuite, il y a l’avion. La plupart ont décidé de renoncer à l’avion. Alors ce n’est pas toujours facile parce qu’il n’y a pas de solutions. Si vous devez par exemple dans le cadre de vos études, faire un stage à l’étranger, au Canada ou aux États-Unis, c’est compliqué. Il y en a qui ont regardé, mais il n’y a pas de solution. Vous êtes obligés d’y aller en avion. Alors, dans ces cas-là, ils disent à leurs parents de ne pas venir les voir. Et puis ils font un aller-retour, pas deux. Voilà, c’est ce qu’on retrouve de commun. Et ensuite, il y en a qui ne veulent pas avoir le permis, qui essaye de prendre un maximum les transports en commun. Mais voilà, ça dépend des infrastructures, ça dépend de ce qu’il est possible de faire. Donc réduction absolue de la viande, de tout ce qui est plastique, suremballage. Ça dépend aussi le degré d’autonomie qu’ils ont. C’est à dire que ceux qui vivent chez leurs parents ne sont pas forcément décisionnaires sur tout, notamment la nourriture. Au contraire des étudiants et de ceux qui travaillent.

Charlotte Simoni

Dernière interrogation, j’ai souhaité comprendre quelles étaient les conséquences des actes de ces jeunes éco concernés sur leur vie quotidienne, leurs relations aux autres. S’éloignent-t-ils de leurs proches ? Arrivent-ils à les convaincre ? Et surtout, quel a été le plus dur : avoir opté pour un mode de vie plus sobre ou les conséquences qui en ont découlé ?

Sophi Lechartre

Ça a changé énormément de choses parce que déjà le fait d’avoir cette conscience fait que leurs aspirations sont différentes. Et ça va se traduire notamment dans le choix de leurs études, le choix de leur métier. Donc c’est quand même important. Ce sont des choix de vie qui sont importants. Il y en a aussi qui se posent des questions sur le fait d’avoir des enfants ou pas par exemple. Donc ça a des conséquences importantes sur leur vie quotidienne. Ensuite, ça change beaucoup de choses sur leur relation aux autres parce que souvent, au départ, il y a une forme de colère, une forme d’agressivité. Bon, ils se rendent vite compte que ça ne sert à rien, que ce n’est pas productif. Donc ils vont essayer d’expliquer à leur famille. Alors la plupart des familles comprennent, les laisse choisir.

Parfois, on observe des phénomènes de socialisation inversée, avec des parents qui vont changer leurs habitudes, souvent les mamans d’ailleurs. Elles vont devenir végétariennes ou manger moins de viande, elles vont acheter en vrac du vrac, utiliser des cosmétiques solides par exemple. Sur la famille en général, les choses vont etre plus difficiles avec les cousins, les cousines, les oncles, les tantes. Au niveau des amis, tout dépend ! Si leurs amis sont comme eux, pas de problème. Mais la plupart du temps, il y a une rupture qui se fait avec les anciens amis, ceux qu’on côtoyait avant de devenir éco-concerné. C’est souvent ceux qu’on avait quand on était chez nos parents. Et puis on est parti faire des études ailleurs, on a rencontré des amis qui pensent comme nous et donc on va se détacher des autres. Alors ils vont soit se détacher en n’exprimant plus leurs préoccupations, soit casser la relation. Donc, on a quand même une rupture.

Je voulais aussi dire que devenir éco-concerné exerce une vraie influence sur leur corps. Ces jeunes vont se nourrir différemment, vont s’habiller différemment, vont prendre soin de leur corps différemment. Donc il y a un changement, d’abord au niveau physique. J’avais lu dans le livre d’un sociologue, qui est Québécois, que ces changements vont d’abord s’opérer dans la façon d’être, puis dans le corps, dans la corporéité, ensuite via choix de vie et pour finir dans la relation aux autres. Et je dirais que ce sont ces relations aux autres qui sont les plus douloureuses. De se prendre des réflexions par exemple. Et il y a même des tutos sur internet – sur des sites comme Bon pote – pour expliquer ce qu’on doit dire à Noël. Vous avez le tonton relou qui ne comprend pas que vous ne mangiez pas de la dinde. Voilà comment vous allez lui expliquer pourquoi vous n’en mangez pas. Voilà, on en est là.

Charlotte Simoni

Pour conclure cette interview, j’avais envie de savoir si ces jeunes éco concernés essayent ensuite de convaincre leur entourage des bienfaits d’un mode de vie plus sobre. Et si oui, par quels moyens sont-ils dans la culpabilité, l’écoute, l’empathie, le débat d’idées ?

Sophie Lechartre

Personnellement, j’ai été épatée par la maturité de ces jeunes adultes qui prennent leurs responsabilités très au sérieux et dans la plus grande bienveillance. C’est vraiment l’état d’esprit qui circule dans ces milieux-là. Après, ce n’est que du déclaratif. Ils essayent et c’est peut-être ça le plus important finalement. Ils savent ce qu’il faut faire et ils essayent de le mettre en place et ils essayent d’embarquer les autres. J’ai d’ailleurs fait une typologie de ce qu’ils pensaient important. Alors il y a ceux qui pour convaincre, parce qu’ils en ont marre de ne pas être écoutés, de voir que ça ne marche pas, vont plutôt aller vers l’activisme. C’est ceux qui ont été finalement le plus influencés par d’autres jeunes. Ensuite, il y a ceux qui considèrent qu’il faut convaincre par l’éducation. Toujours dans cette logique horizontale, ils vont aller dans des associations, des communautés, des écoles pour porter la bonne parole, pour bien expliquer les faits scientifiques et puis expliquer ce qu’il faut faire. Il y a aussi ceux qui sont plutôt dans le débat d’idées. Alors voilà, on me provoque, je réponds, j’ai des arguments, je vais aller en un par un, essayer de convaincre.

Puis après il y a ceux qui en sont encore à se protéger, à prendre le temps et voir ensuite. On a globalement différents profils sur la façon de convaincre, mais ce pas dans la culpabilité. Ils ont assez de raisons de culpabiliser pour ne pas les culpabiliser les autres.

Il y a la question pour finir de la responsabilité. En fait, ils considèrent qu’ils ont un rôle à jouer. Ils ont alors deux types de responsabilité : une responsabilité individuelle en espérant par leur démarche, par l’exemple qu’il donne que cela va en entraîner d’autres. Donc que ça aura un effet un peu boule de neige, que ça agira sur le collectif. Et après, ils considèrent qu’ils ont une responsabilité en tant que jeune face à l’avenir. Il n’y a pas trop de ressentiments, sauf un peu par rapport aux générations précédentes qui n’ont pas forcément fait grand-chose. Alors cet aspect de responsabilité individuelle peut être vraiment discuté. C’est ce que Foucault appelle « la gouvernementalité », c’est à dire que l’État reporte sur les individus la responsabilité et donc ça fait une charge sur les individus et que si ça ne marche pas, ben ça sera leur faute. Bon, c’est très schématique, mais c’est un vrai sujet cette responsabilité. Est-ce que c’est vraiment du ressort des individus ? Et donc ça passe par adopter un mode de vie différente, parce que le GIEC le pointe sans équivoque : c’est la responsabilité humaine et l’impact des modes de vie occidentaux, ce sont nos modes de vie occidentaux qui ont produit ce dérèglement climatique. Il y a plein de gens qui vous diront que ce n’est pas vrai, mais le GIEC auquel je crois et auquel se réfère les jeunes eco-concernés, nous dit que c’est notre façon de vivre, notre surconsommation qui a entraîné la catastrophe qu’on est en train de vivre. Vous avez tout piétiné, vous avez tout exploité à l’infini. On a cru à des ressources infinies et en fait, on n’a pas pris en compte la finitude des ressources. Aujourd’hui, elles n’ont plus le temps de se renouveler et donc c’est clairement notre façon de vivre. Donc les jeunes éco-concernés disent : je vais essayer de vivre autrement à mon niveau et je vais essayer de faire changer les choses. Donc la sobriété, c’est vraiment un acte, finalement, très engagé, c’est un acte politique quelque part.