Portrait de Swann Bommier de chez Bloom Association

Épisode 11

Comment la pêche industrielle affecte le climat ?

Swann Bommier, Responsable du plaidoyer chez Bloom Association

Saviez-vous que les 5 premiers centimètres de sédiments marins contiennent 10% des gaz à effet de serre mondiaux ?

Un chiffre dont je n’avais pas connaissance et que j’ai appris de ma discussion avec Swann Bommier, responsable du plaidoyer chez BLOOM Association, qui lutte contre la destruction des océans.

À cinq mois de la prochaine conférence des Nations Unies sur l’océan (UNOC) qui aura lieu à Nice en juin 2025, il me semblait important d’évoquer le sujet de la pêche industrielle et de ses conséquences environnementales et climatiques. 

Et pour cause : les pouvoirs publics sont sérieusement en retard dans la transition du secteur halieutique. Réchauffement, acidification, perte de biomasse… l’océan souffre à plus d’un titre des conséquences de la pêche au chalut.

Deux chiffres parlent d’ailleurs d’eux-mêmes :

  • Le premier concerne le climat, puisque 370 millions de tonnes de CO2 sont émis chaque année par le chalutage de fonds, soit l’équivalent des émissions de carbone de la France (380 millions en 2023)
  • Le second concerne les subventions avec seulement 19% des aides allouées à la pêche artisanale (alors que celle-ci représente plus 80% de la flotte mondiale)

Alors, quel est le rôle des océans ? Qu’est ce que le chalutage de fonds ? Quel impact sur la biodiversité et le climat ? Comment favoriser une pêche durable ? Existe t-il des sanctions pour les dégâts causés sur la vie marine par les chalutiers ? Autant de questions que j’ai abordé dans cet épisode avec mon invité.

Ensemble, nous avons aussi parlé du pouvoir des lobbys, de l’inaction politique face à un consensus scientifique clair et à une demande populaire forte de stopper la pêche industrielle ainsi que du greenwashing qui entoure des Aires Marines Protégées.

Bref, un sujet engageant que je vous propose de découvrir sans plus attendre.

Belle écoute !

CHIFFRES CLÉS

10%

du dioxyde de carbone captés par l'océan est présent dans les 5 premiers centimètres de sédiments marins

2%

des volumes péchés dans l'hexagone proviennent de populations considérées comme "éffondrées"

38,5

ce sont les millions de tonnes de prises accessoires annuelles provenant de la pêche

SOLUTIONS

Pas facile de trouver des solutions pour contrer le chalutage de fonds à titre individuelle et manger du poisson de façon plus responsable ! Et pour cause : l’aquaculture est une fausse solution et les labels ne sont pas fiables à 100%. Comme à mon habitude, voici donc une liste de solutions et de conseils à mettre en place pour une consommation plus raisonnable de poisson et une meilleure protection des ressources halieutiques :

  • S’informer : quoi de mieux pour débuter que d’opter pour un peu de lecture ! À commencer par le livre (pas très récent, mais passionnant) de Charles Clover intitulé « l’océan en voie d’épuisement », qui alertait déjà en 2008 sur la tragédie silencieuse qui se joue dans les océans. Autre bouquin : « Pour une révolution dans la mer, de la surpêche à la résilience » de Didier Gascuel (Actes Sud), qui questionne sur les changements à mettre en place pour assurer un avenir durable à l’exploitation des ressources vivantes de l’Océan.
  • Se mobiliser : en signant les pétitions de Bloom Association pour lutter contre la destruction de l’océan.
  • Vérifier : outre la zone de pêche ou encore le pays de provenance, sachez que l’affichage des engins de pêche utilisés est obligatoire en poissonnerie depuis décembre 2013. regardez les techniues de pê les poissons que vous achetez ont été capturés. Depuis décembre 2013, En clair, si l’indication comporte la mention chalut, chalut de fonds ou à la senne, n’achetez surtout pas !

RESSOURCES

TRANSCRIPTION DE L'ÉPISODE

Charlotte Simoni

À quelques mois de l’ouverture de la troisième Conférence des Nations Unies sur l’océan qui se déroulera du 9 au 13 juin 2025 à Nice, il me paraissait important d’aborder le sujet de la lutte contre la surexploitation des ressources halieutiques. Mais avant de mieux en comprendre les problématiques, je souhaitais recontextualiser ce sujet. Parce que s’il y a bien une chose à comprendre en introduction de cet épisode, c’est le rôle joué par les océans. Et pour cause : les écosystèmes marins et côtiers ont une importance capitale dans la régulation du climat et l’atténuation des impacts des dérèglements climatiques. Je vous laisse écouter les explications de Swann Bommier.

Swann Bommier

Il faut se rendre compte aujourd’hui que l’océan, c’est littéralement notre thermostat planétaire. Et c’est celui grâce auquel on a de la vie aujourd’hui sur Terre. Alors on a tous en tête le Gulf Stream qui réchauffe l’Europe par rapport au Canada. Donc ça, c’est déjà une première façon de comprendre l’océan au niveau mondial. Mais l’océan a aussi un énorme rôle en tant qu’atténuation, facteur d’atténuation du dérèglement climatique. Il faut savoir qu’aujourd’hui 90 % des excédents de chaleur qui ont été créés par le réchauffement climatique depuis le début de l’ère de la révolution industrielle, 90 % de cet excédent de chaleur a été absorbé par l’océan. Donc c’est pour ça qu’on dit que c’est notre thermostat et aussi notre poumon, parce que c’est lui qui produit la moitié de l’oxygène qu’il y a sur la planète et qui absorbe 30 % de nos émissions de CO2. C’est à dire que si l’océan cessait d’absorber du carbone, on aurait des émissions d une concentration de gaz carbonique dans l’atmosphère qui exploserait.

Il en a tant absorbé qu’aujourd’hui on est en passe de franchir la septième limite planétaire sur l’acidification de l’océan. Parce que plus l’océan capte du carbone, plus il devient acide. Et donc on voit bien qu’au cours des 200 dernières années, on a réellement compté sans le savoir sur l’océan pour faire face au dérèglement climatique. Et aujourd’hui, on est arrivé à un point de rupture qui est que l’océan est en train de se réchauffer depuis 200 ans, a absorbé de la chaleur et aujourd’hui, on a des canicules marines absolument gigantesques. Donc c’est pour ça, par exemple, que la Méditerranée, était en canicule cet été, que la mer Noire était en canicule. Et ça, ça a un impact direct sur nos vies. C’est pour ça qu’on a eu les grandes inondations en Europe de l’Est début septembre. Parce que, ça a été montré par les météorologues et par des études d’attribution, on a entre 10 et 20 % des précipitations dans les inondations en Europe de l’Est qui sont directement attribuables au réchauffement climatique. Et ces inondations ont eu lieu parce que la mer Méditerranée et la mer Noire étaient en surchauffe.

Donc on voit aujourd’hui les effets de notre activité sur l’océan en tant que puits de carbone. Parce qu’aujourd’hui, ce puits de carbone est tellement réchauffé et tellement acide qu’il commence à avoir un impact direct sur nos vies. C’est pour ça qu’on a des tornades, des pluies diluviennes, etc. C’est parce que l’océan s’est tellement réchauffé que c’est devenu réellement une cocotte-minute qui est en train de relâcher toute la pression et toute l’humidité qu’il y a dans l’atmosphère sur les terres. L’autre enjeu majeur, c’est que aussi l’océan aujourd’hui est ce puits de carbone qui est l’un de nos meilleurs alliés dans la lutte contre le réchauffement climatique, s’il est en bonne santé. Parce que cette absorption du carbone, elle se fait à l’interface entre l’air et l’eau par les échanges. Mais elle se fait aussi parce qu’on a de la vie en abondance à la surface de l’océan. Et donc typiquement, le plancton, le phytoplancton, le zooplancton sont essentiels à cette captation du carbone et à sa séquestration dans les fonds marins.

Charlotte Simoni

Vous l’aurez donc compris, les océans jouent un rôle majeur dans la dynamique du climat, tout en étant l’un des piliers centraux de la vie sur Terre. Si le schéma de réchauffement des océans, à cause de l’augmentation de nos émissions de gaz à effet de serre est assez clair, j’ai en revanche cherché à mieux comprendre les conséquences de la pêche industrielle sur la vie marine.

Comment le chalutage de fond détruit il concrètement les océans ? De quel niveau d’appauvrissement des ressources halieutiques parle-t-on ? Et qu’en est-il de la biodiversité ?

Swann Bommier

Il faut se rendre compte que l’IPBES, donc le panel intergouvernemental sur la biodiversité, qui est l’équivalent du GIEC pour la question de la biodiversité est arrivé à la conclusion que, au cours des 50 dernières années, la première cause de destruction de la biodiversité marine est liée à la surpêche, à la pêche industrielle. Donc, si aujourd’hui l’océan est en mauvaise santé, c’est d’abord et avant tout parce qu’on a de la pêche industrielle qui a vidé l’océan de ses ressources.

Par exemple, en Atlantique Nord-Est, il y a plus de 90 % des gros prédateurs marins qui ont disparu. Il y a une étude qui montre que si aujourd’hui on remettait dans les eaux britanniques, dans la Manche, un chalutier qui opérait en 1900, là où en 1900, ce chalutier prélevait, disons 100 kilos, aujourd’hui le même chalutier avec le même équipage, au même endroit, en pêcherait 4 kilos. C’est à dire que la biodiversité, l’abondance, tout ça s’est complètement effondré. Et ça s’est effondré sous les coups de boutoir de la pêche industrielle qui s’est développée de façon massive au cours des 200 dernières années et surtout au cours des 50 ou 70 dernières années. En gros, depuis les années 1940-1950, on a eu un boom de la pêche qui s’est faite sur des techniques de pêche destructrices dont le chalutage et le chalutage de fond en sont les premiers exemples les plus frappants, puisque le chalutage, ça consiste à traîner un filet derrière le bateau et donc tout ce qui va être dans sur le passage de ce filet va être attrapé.

Et donc comme ça on attrape des quantités phénoménales de poissons et d’animaux marins qu’on n’avait pas ciblé et qui ne vont pas être commercialisés mais qui sont attrapés dans ses filets. Le chalutage est pensé pour racler les fonds marins. Ce sont des filets qui sont lestés avec des panneaux en métal qui sont plaquer pour que le filet reste sur le sol. Et ensuite on met un gros moteur parce que c’est une technique de pêche qui est extrêmement énergivore pour tirer ce filet sur le fond. Et donc là pour le coup, c’est une destruction massive. Les scientifiques parlent de déforestation marine puisque ça consiste vraiment à faire une coupe claire puisqu’on va tirer ce filet sur le fond pour tout attraper sur son passage. Et donc ça, c’est une technique de pêche qui aujourd’hui est extrêmement utilisée en France, en Europe et dans le monde, qui, on le voit de façon très simple, globalement, c’est comme si les chasseurs allaient chasser avec un bulldozer en forêt, comme si vous étiez en train de vouloir cueillir des fraises avec une tronçonneuse. C’est à dire que vous anéantissez l’ensemble de l’écosystème pour récupérer quelques animaux qui vivent en son sein. Et donc ça, ça a une destruction massive de la biodiversité. Parce que vous êtes en train de tuer les habitats. Vous attrapez tout, toutes les espèces sur votre passage. Donc, globalement, c’est un anéantissement de grande ampleur de la vie marine qui a lieu.

Et c’est aussi une catastrophe climatique parce qu’il faut se rendre compte que les 5 premiers centimètres de sédiments marins à l’échelle du monde contiennent 10 % des émissions mondiales de CO2. Donc les 5 premiers centimètres de sédiments marins au niveau mondial, c’est un réservoir absolument gigantesque de carbone. On le comprend de façon assez claire si on pense aujourd’hui au pétrole et au gaz, tout le pétrole et le gaz qu’on extrait aujourd’hui, c’étaient des sédiments marins il y a quelques centaines de milliers ou millions d’années qui ont été stockés et qui se sont, au fur et à mesure déposés sur les fonds océaniques et qui se sont transformés au fur et à mesure du temps en pétrole, gaz, etc. Donc, ces sédiments marins, aujourd’hui, quand vous passez un chalut qui racle ces fonds là, ça relâche ce carbone dans l’océan, donc ça contribue à acidifier l’océan. Ça fait que l’océan n’a pas la capacité d’absorber davantage de CO2 de l’atmosphère puisqu’on a relâché du carbone des fonds marins dans la colonne d’eau. Mais il y a aussi toute une partie de ce carbone qui est relâché des fonds marins va revenir dans l’atmosphère, c’est à dire qu’on a relâché du carbone contenu dans les sédiments dans la colonne d’eau et on a une partie de cette de ce carbone qui va se re échanger avec l’atmosphère dans des mouvements de va et vient.

Il faut se rendre compte qu’aujourd’hui, on estime que le chalutage de fond est responsable de l’émission dans l’atmosphère de 370 millions de tonnes de CO2 par an. Sachant que les émissions de la France, c’est le même ordre de grandeur puisque l’année dernière on a émis en France 380 millions de tonnes de CO2. Donc le chalutage de fond, juste en raclant des filets sur le fond, c’est l’équivalent des émissions annuelles de la France qui sont rejetés dans l’atmosphère et qui, en plus de contribuer à la catastrophe climatique de cette façon-là, anéantit la biodiversité marine, détruit la biodiversité marine et donc l’avenir de l’océan, de sa biodiversité et aussi de sa capacité. Si on se ne se soucie pas de la biodiversité marine, juste de la capacité de l’océan à jouer son rôle en tant que puits de carbone et thermostat planétaire.

Charlotte Simoni

S’il y a bien un point qui m’a interpellé dans mon échange avec Swann Bommier, c’est la raison de ce chalutage intensif. Comment a-t-on pu laisser le chalutage de fond prendre autant de place dans notre société ? Les conséquences dramatiques sur la biodiversité et le climat de cette technique de pêche sont pourtant prouvés scientifiquement.

Par exemple, saviez-vous que, d’après des informations collectées en 2010 à bord des navires de pêche professionnels dans le cadre de L’action Obs Mer et effectuées par l’Ifremer pour trois espèces cibles principales, 114 espèces non désirables sont capturées. Alors pourquoi les pouvoirs publics soutiennent -il encore le chalutage de fond ? Pour des raisons économiques ? Qui bénéficient des subventions publiques de la pêche française ? Quel est le pouvoir des lobbys et surtout, en a-t-il toujours été ainsi ?

Swann Bommier me répond.

Charlotte Simoni

Il faut se rendre compte qu’à l’origine du développement de ces techniques de pêche destructrices, il y a l’appât du gain. Et il y a une croyance qui maintenant commence à être battue en brèche, mais qui était que l’océan était inépuisable. Ces deux idées réunies ont amené à développer massivement les subventions publiques. Donc notre argent. L’argent public est utilisé de façon massive pour soutenir cette technique de pêche destructrice. Et donc il faut se rendre compte que, par exemple, quand le chalutage de fond a commencé à émerger en tant que technique de pêche au 13ᵉ et 14ᵉ siècle, à l’époque, les personnes qui allaient réaliser du chalutage de fond pouvaient être passibles de la peine de mort, parce que les pêcheurs, historiquement, se sont bien rendus compte très vite que, en raclant les fonds marins, qu’on était en train d’anéantir la vie marine et donc d’hypothéquer l’avenir de ces écosystèmes. Donc au tout début, vraiment, au 13ᵉ, 14ᵉ, 15ᵉ siècle, c’était un véritable tabou et une interdiction que de faire de la pêche au chalut de fond. Parce que, en gros, une personne était en train un d’accaparer toute la ressource en traînant ses filets, mais aussi d’anéantir l’avenir même de ses habitats et donc l’avenir même de la pêche.

Et au fur et à mesure, on a développé le chalutage et dans les 50 ou 70 dernières années, ce qui s’est passé, dans un souci de vouloir nourrir la population en cherchant du poisson pas cher qui puisse arriver de façon constante dans les étals de la grande distribution, on a eu une propension dans notre politique publique à encourager le chalutage de fond. Pourquoi ? Parce que c’est une technique qui ne se soucie pas de la saisonnalité, qui peut aller très loin avec des bateaux de grande taille et qui va racler les fonds marins pendant des jours et des jours et revenir au port. On est capable de ramener des volumes importants et donc ça fait une chaîne logistique qui est extrêmement simple à gérer pour la grande distribution. Et donc c’est ce circuit-là de comment est-ce que on a une chaîne logistique avec quelques grands ports qui peuvent faire des gros volumes à bas coûts, parce qu’il y a toute une partie des coûts qui sont cachés, ou bien parce que c’est des coûts pour l’environnement qui ne sont pas intégrés dans la comptabilité, ou bien c’est des coûts qui sont pris en charge par la communauté parce qu’on subventionne leur consommation de gasoil.

On a été dans une logique d’expansion de ce secteur-là. Il faut se rendre compte aujourd’hui qu’en France, on a une flotte de 800 chalutiers. Et ces 800 chalutiers de fond à eux seuls vont bénéficier de la très vaste majorité des subventions publiques de la pêche française, puisque chaque année la France attribue à la pêche 200 millions d’euros en subventions gasoil, qui sont en très large majorité captées par ces chalutiers de fond puisque ce sont les bateaux de pêche les plus énergivores. Et cette flotte de 800 bateaux, elle racle en moyenne 600 000 kilomètres carrés de fonds marins chaque année. Ces 600 000 kilomètres carrés de fonds marins, c’est la surface de l’Hexagone. Donc en gros, on a un modèle de la pêche en France qui, pour alimenter la grande distribution avec du poisson pas cher, va subventionner la facture de gasoil de ces navires énergivores qui vont racler 600 000 kilomètres carrés de fonds marins dans l’Atlantique pour ramener du poisson pas cher. Et ce faisant, on détruit les habitats marins, on vide l’océan de ses richesses et on aboutit à un effondrement globalement de la ressource.

Aujourd’hui, si vous écoutez, certains scientifiques et lobby vont vous dire « c’est bon, on n’est plus en situation de surpêche, on a réussi à limiter la casse. Ça y est, les volumes, les stocks, donc la quantité de poisson commercialisable dans l’océan sont stabilisés ». Et donc oui, depuis 15/20 ans, on est en train d’arriver à une stabilisation. Mais c’est une stabilisation qui se fait à des niveaux jamais vus historiquement bas et donc sur lequel un tout petit changement peut enclencher des effondrements. Donc typiquement, quand on chaloupe le fond, peut être que le stock se maintient, mais en fait on continue à anéantir les bases de la vie de ces espèces parce qu’on détruit leur lieu de reproduction et le lieu de croissance des poissons. Tout à coup, on peut aboutir à arriver à un moment de bascule dans lequel cette population s’effondre.

Et c’est ce qui se passe aujourd’hui en mer Baltique où on a une pêche industrielle massive depuis des décennies qui est en train d’aboutir à l’effondrement de la population de hareng. Et le gouvernement suédois s’est réveillé en juillet dernier en disant « face à l’effondrement de la biodiversité marine en mer Baltique, on va interdire le chalutage de fond dans nos aires marines protégées et dans notre bande côtière ». Alors ça, c’est la grande annonce. Cela étant dit, on est en train de découvrir qu’en fait ils sont déjà en train de mettre en place des systèmes de dérogation. Mais la grande annonce qui arrive pour dire il faut maintenant cesser, n’arrive que parce que l’effondrement de la ressource et des écosystèmes marins est en train d’avoir lieu en Baltique.

Charlotte Simoni

Au regard des dernières explications de Swann Bommier, je me suis donc demandée si une pêche responsable était possible. Peut-on réellement proposer du poisson en grande distribution à un coût abordable et de manière durable ?  Ou est-ce utopique ? Comment capturer la même quantité de poisson sans détruire l’océan ? Ou doit-on tout simplement laisser désormais les ressources halieutiques se renouveler ?

Swann Bommier

Alors dans ce cas-là, on ne parle plus de chalutage, on parle d’autres techniques de pêche par exemple. C’est à la ligne, aux casiers, aux filets, et en fait c’est complètement contre-intuitif. Mais si vous pêchez moins aujourd’hui, vous pouvez pêcher davantage demain en pêchant avec un effort plus faible. Tout simplement parce qu’aujourd’hui, en fait, quand je vous disais qu’on a 20-10 % des poissons prédateurs qui ont disparu de l’Atlantique Nord parce qu’on a surpêché pour trouver ces poissons, vous allez devoir déployer des moyens technologiques et un gigantisme hallucinant pour en gros aller chercher les derniers poissons. Si vous laissez l’abondance se recréer, donc typiquement, une des mesures qui est proposée par un scientifique qui s’appelle Didier Gascuel, qui est un halieutique, donc un scientifique qui étudie la biodiversité marine, si vous augmentez simplement la taille des mailles des filets, ça veut dire que vous laissez tous les petits poissons ou les juvéniles qui ne se sont pas encore reproduits vous les laisser s’échapper des filets parce que les mailles sont plus grandes. Vous pouvez doubler l’abondance par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui et comme vous avez une abondance deux fois plus importante dans l’océan, en fait, avec moins de moyens, moins de moyens technologiques, moins de gigantisme, vous pouvez capter la même quantité de poissons.

Et en fait, c’est ça qu’on voit sur les dernières décennies, c’est qu’on sait qu’au niveau mondial, l’Océan est capable de produire 100 millions de tonnes de poissons par an. Donc la question de l’océan, ce n’est pas comme dans l’agriculture. On n’est pas en train de semer, d’améliorer les techniques d’agriculture pour récolter et récolter davantage. L’Océan, en fait, c’est lui qui produit. Et les pêcheurs sont comme des chasseurs cueilleurs. C’est à dire qu’ils vont chasser une ressource sauvage qui va être produit par le monde sauvage naturel. Et on sait qu’on a globalement un océan à peu près en bonne santé va être capable de produire autour de 100 millions de tonnes de poissons. La question c’est qui sont les personnes qui vont attraper cette ressource ? Donc est ce que c’est un tout petit nombre de très gros bateaux qui détruit en plus en passant les fonds marins ou est ce que c’est un très grand nombre de petits bateaux de pêche qui utilisent des techniques de pêche durables ? Cependant, on a déjà inscrit depuis des années au cœur de la politique européenne qu’il fallait encourager la pêche durable. Il y a l’article 17, c’est un article tout bête qui dit que quand on accorde des subventions et quand on accorde des quotas, il faut privilégier les techniques de pêche qui sont les plus environnementalement et socialement vertueuses. Mais ça n’a jamais été mis en œuvre. C’est à dire que ça reste un vœu pieux.

Donc on a le principe qui a été reconnu, qui est dans le droit européen, mais aujourd’hui on accorde aussi les quotas de pêche. Donc dans cette masse de poissons qu’on se dit qu’on peut pêcher sans faire que le stock s’effondre. Donc en plus, ce sur quoi on n’est pas certain d’arriver puisqu’on est en train d’utiliser des techniques de pêche qui détruisent les habitats. Mais on se dit chaque année on peut pêcher X tonnes et après il faut savoir comment on répartit. C’est cette quantité de poissons entre les différents producteurs. La France a expliqué que, à 97 %, elle accorde les quotas de l’année donnée en fonction des antériorités de pêche. Donc, plus vous avez pêché par le passé, plus vous allez pouvoir pêcher à l’avenir. C’est à dire que plus vous avez eu une pêche destructrice ultra efficace par le passé, plus vous allez pouvoir continuer à utiliser une technique de pêche destructrice ultra efficace à l’avenir. Et donc il y a tout un combat aujourd’hui qui est de simplement savoir sur quels critères on se base. On a été en justice là-dessus, parce que, alors que les poissons sont une ressource sauvage et que la pêche aujourd’hui consiste à prélever dans un bien commun qui est l’océan une ressource sauvage, on n’a pas de transparence sur les mécanismes et les critères d’allocation des quotas en France.

Et donc c’est tout un monde qui est à reconstruire. Parce que on voit que les enjeux climatiques, environnementaux, sociaux et économiques sont tous liés de façon extrêmement forte et assez simple à comprendre. Mais on a eu une politique publique qui a consisté depuis des décennies à encourager une toute petite poignée d’acteurs et à créer une véritable accaparement de la ressource par un tout petit nombre d’acteurs extrêmement influents.

Charlotte Simoni

Dans ce contexte de surpêche, les États membres des Nations Unies dont la France, se sont engagés en 2010 à protéger 10 % des zones marines et côtières d’ici 2020. C’est à dire il y a déjà cinq ans. Grâce à la mise en place d’aires marines protégées, en clair, des sites dédiés à la conservation de l’environnement naturel à long terme, protégeant non pas une seule espèce, mais l’écosystème dans son ensemble. Une initiative louable qui est cependant loin d’être respectée puisque seulement moins de 0,1 % des aires marines françaises dites protégées sont interdites à la pêche actuellement.

Alors comment expliquer cette exploitation intense d’espaces géographiques censés être protégés ? Est-ce dû à un manque de moyens financiers ou à un manque de moyens humains ? Explications avec Swann Bommier.

Swann Bommier

Alors, les aires marines protégées ont été créées parce que dans les années 2000-2010, on s’est rendu compte qu’on avait quand même un gros problème qui était que la ressource était en train de s’effondrer. Et donc on sait scientifiquement qu’on peut avec des aires marines protégées qui sont créées dans un réseau cohérent, efficace, bien administré, utiliser ces aires marines protégées pour reconstituer l’abondance qu’on a perdue. Et si on accompagne la création de ces aires marines protégées d’une transition du secteur, on pourra retrouver un océan véritablement en bonne santé. Et donc la création des aires marines protégées, elle a été pensée dans les années 2000 avec l’idée de réussir à inverser la tendance et à protéger les écosystèmes marins. Et donc ça, ça a été adopté en 2010 dans les objectifs d’Aichi, dans lequel on s’est dit il faut qu’on protège 10 % de l’océan mondial. C’était en 2010 et après on n’est jamais parvenu à atteindre cet objectif mondial de 10 %. Et donc, en 2020, l’Union européenne, en voyant que ça n’allait toujours pas mieux, s’est dit maintenant on va se dire que d’ici 2030, on a dix ans pour créer 30 % d’aires marines protégées dont un tiers sous protection stricte. C’est à dire que l’objectif européen qui depuis a été repris au niveau français et qui est devenu même un objectif international lors de la COP15 sur la biodiversité à Montréal en décembre 2022.

L’objectif international, c’est 30 % d’aires marines protégées au niveau mondial. Et en Europe, on s’est dit on va faire ces 30 % d’aires marines protégées en Europe et on va en mettre un tiers sous protection stricte, c’est à dire un tiers qu’on met sous cloche, dans lequel on ne pêche pas du tout pour avoir des poumons de biodiversité. Et donc le grand enjeu, c’est comment on arrive à recréer des poumons de biodiversité dans ces zones sous protection stricte. Comment ? Dans des zones plus vastes, on est capable d’exclure dès aujourd’hui la pêche industrielle pour que les bénéfices de la protection stricte aillent à des pêcheurs qui ont des techniques de pêche vertueuses, dans des écosystèmes qui sont en bonne santé, dans lesquels on va juste avoir de la pêche à faible impact. Et comment, à partir de ces 30 % d’aires marines protégées, on est capable de relancer l’abondance de la vie marine ?

Donc maintenant on est en 2025, on est cinq ans après l’adoption de ces objectifs européens et alors qu’on devrait avoir 30 % d’aires marines protégées en France métropolitaine, on est à 0,1 % d’aires marines protégées. C’est à dire qu’on part de zéro. Mais si vous écoutez le président de la République, Emmanuel Macron, ou si vous allez sur les sites du ministère de l’Environnement, du Secrétariat général de la Mer, vous allez voir que la France a 30 % d’aires marines protégées, donc vous allez vous dire « Mais pourquoi est-ce que Bloom explique qu’on a 0,1 % d’aires marines protégées en France métropolitaine alors que le gouvernement et l’administration nous expliquent qu’on a 30 % des marines protégées ? ». La raison est toute simple : c’est qu’on a écrit sur un papier que des zones étaient protégées alors qu’en réalité, elles ne protègent absolument rien.

C’est à dire que c’est ce qu’on appelle des aires marines de papier. En clair, sur elles sont protégées, mais dans la réalité, il y a des chalutiers qui opèrent tous les jours. C’est à dire que ces aires ne sont pas protégées parce que légalement, on ne s’est jamais dit qu’il fallait y interdire quoi que ce soit. C’est pour ça que ce sont des aires qui sont dites protégées mais qui ne le sont absolument pas, parce que vous avez par exemple en France une aire marine protégée qui est l’aire marine protégée du talus du golfe de Gascogne, qui est une grande aire marine protégée qui a été inscrite sur le papier dans le golfe de Gascogne. Vous avez des mégas chalutiers de 80 mètres qui pêchent tous les ans, et des chalutiers qui pêchent tous les jours. On a demandé dans une lettre officielle de savoir quelles étaient les mesures qui allaient être prises dans cette aire marine protégée pour qu’elles soient effectivement protégées. Et la réponse de la préfecture officielle a été de nous dire qu’il n’y avait aucun objectif pour le moment de prendre des mesures de restriction dans cette aire marine protégée, parce qu’il n’y avait ni les moyens humains ni les moyens financiers de mettre en place une quelconque stratégie de protection.

Et ça, on le voit dans le cas du Golfe de Gascogne, et aussi en novembre, décembre, janvier et particulièrement en novembre et décembre dans la Manche, dans les aires marines protégées du Bancs des Flandres, au large de Calais et Dunkerque, où vous avez chaque année, dans les aires marines protégées, des chalutiers de 80 à 90, 100, 120 mètres de long qui viennent littéralement tout pulvériser pour aller pêcher en une journée ce que des pêcheurs artisanaux ont pêché en une vie.

Charlotte Simoni

Du coup, je me suis questionnée : est-ce que cela sous-entend qu’il n’y a donc aucune sanction financière si l’on pêche dans une aire marine protégée ? Oui, à en croire les chiffres, puisque, comme l’explique Swann Bommier, la France comptabilise près de 400 000 heures de chalutage dans ses aires marines protégées chaque année.

Pour mettre en lumière cette hypocrisie, l’association Bloom vient d’ailleurs de lancer sur son site internet un radar du chalutage des aires marines protégées françaises, dont le but est de comptabiliser le nombre de kilomètres carrés ravagés par les chalutiers dans les eaux françaises. Cette année, et jusqu’à l’ouverture de la troisième Conférence des Nations Unies sur l’océan qui se tiendra à Nice en juin 2025. Mais je vous laisse écouter les explications de Swann Bommier.

Swann Bommier

En fait, aujourd’hui, il est parfaitement légal pour un bateau de 100 mètres de long de venir chaluter dans une aire marine protégée. Et ça dans toutes les aires marines protégées françaises, à part quelques exceptions qui sont toujours mises en avant comme un totem par les ministres. Donc je peux vous les citer : c’est la réserve des Sept-Îles, la réserve de Port-Cros, Porquerolles et les Calanques à Marseille. Donc on a comme ça quelques confetti de protection qui font ces 0,1 % d’aires marines qui sont vraiment protégées. Et puis après vous avez le reste des eaux françaises qui sont accessibles aux chalutiers ou qui ne vont pas l’être parce qu’on a interdit le chalutage dans les 3000 où on a interdit pour les chalutiers étrangers de venir dans les 6000 ou dans les 12 000. Mais les quelques restrictions qui existent sur le chalutage ne sont pas liées au fait qu’on a protégé un lieu donné. Globalement, les seules restrictions qu’on a imposées c’est parce qu’il ne faut pas venir trop près de la côte, notamment quand on est un navire étranger. Mais à part cette restriction-là, l’ensemble de nos eaux sont chalutiers de façon quotidienne dans toutes nos aires marines protégées.

Et c’est comme ça que la France a l’aire marine la plus chalutée d’Europe. Avec le talus du Golfe de Gascogne, on est dans le top 3 des pays avec le plus de chalutage dans nos aires marines protégées puisqu’on a 400 000 heures de chalutage dans des aires marines protégées chaque année. Le chiffre, ça devrait être zéro. Et tout ça, c’est légal. Donc c’est pour ça qu’on ne peut pas l’arrêter, parce qu’il n’y a aucune illégalité aujourd’hui à aller chaluter dans une aire marine protégée. Et c’est ce pour quoi on se bat, c’est pour changer le droit, pour que ça devienne illégal. Et si ça devient illégal de s’abriter dans une aire marine protégée, alors avec quelques contrôles et un peu de bonne volonté, on va très rapidement réussir à interdire le chalutage dans ces zones-là. Parce que tous les bateaux, par exemple de plus de quinze mètres aujourd’hui, sont suivis par GPS parce qu’il y a une obligation pour tous les navires de pêche de plus de quinze mètres d’avoir une balise GPS.

Donc, si vous avez suivi le Vendée Globe par exemple, c’est par ces balises GPS qu’on est capable de suivre les bateaux qui font le Vendée Globe. On a pareil sur tous les navires de pêche de plus de quinze mètres qui sont déjà équipés de ces instruments et qu’on peut suivre. Donc nous, c’est comme ça qu’on est capable de dire aujourd’hui qu’on a 400 000 heures de chalutage dans des aires marines protégées en France métropolitaine. C’est parce que on est capable sur un logiciel qui s’appelle Global Fishing Watch, qui est une plateforme mondiale pour le suivi de la pêche au niveau mondial, d’aller suivre tous ces navires de plus de quinze mètres et de voir combien de temps ils passent à pêcher et à quel endroit.

Charlotte Simoni

Cette discussion m’a amené à me questionner sur les moyens à mettre en place pour lutter contre le chalutage de fond. Faut-il interdire tout bonnement cette technique de pêche ou favoriser les plus durables ? Ne doit-on pas réallouer les subventions vers des acteurs moins importants mais qui favorisent une pêche plus protectrice des océans ? Et d’ailleurs, de quel montant d’aide parle-t-on ? Et enfin, quels combats restent-ils encore à mener ?

Swann Bommier

Le premier combat de Bloom, c’était la lutte contre le chalutage en eaux profondes qui consistait à racler ces grands filets à des profondeurs de 1000 ou 2000 mètres de fond. C’est à dire qu’on était et on est aujourd’hui capable de traîner un filet à 2000 mètres de profondeur en anéantissant et en pulvérisant toute la vie marine dans les abysses. Donc on est parvenu à interdire le chalutage en eaux profondes au-delà de 800 mètres de profondeur après un combat dantesque face aux lobbies de la pêche industrielle. Après, on s’est battu contre une autre technique de pêche qui a été inventée par les Néerlandais pour aller chercher les derniers poissons. Cette technique, c’était la pêche électrique. Ça consistait à racler des filets sur les fonds qui étaient des filets sur lesquels on avait des câbles électriques dénudés pour envoyer des impulsions électriques dans l’océan afin d’électrocuter les poissons qui étaient cachés ou posés sur les fonds. Avec ces filets électriques, les poissons sursautent et remontent par rapport aux fonds marins et peuvent être attrapés par un chalut.

On voit aussi encore tout récemment avec nos combats sur les méga chalutiers dont vous avez peut-être entendu parler et pour lesquels on est en train de mener une grosse campagne pour dénoncer le transfert des quotas vers ces méga chalutiers qui font plus de 100 mètres de long, qu’on a une course à la technologie et au gigantisme pour aller chercher ces derniers poissons. On a un récit complètement inverse qui peut aussi avoir lieu, qui est aujourd’hui le récit qui a été abandonné par la puissance publique, qui est de se dire « plutôt que de soutenir le gigantisme et la technologie, pourquoi on ne soutient pas le développement des emplois dans une multitude de petits ports de pêche sur tout le littoral français et européen ? ». Cela permettrait d’avoir une flotte de petite pêche artisanale qui va pouvoir pratiquer une pêche durable avec des filets en petit nombre, des filets de la ligne et du casier pour aller pêcher de façon durable. Et ça, c’est tout un enjeu pour Bloom dans la campagne sur les subventions publiques, puisqu’on revient sur la même logique que dans la PAC, la politique agricole commune. C’est la même chose avec le Fonds européen pour la pêche, dans lequel il faut que l’on décide collectivement à qui on veut attribuer de l’argent public.

On sait que chaque année le secteur de la pêche en France, via nos impôts et les aides européennes, touche 300 millions d’euros d’aides. Sur ces 300 millions d’euros d’aides attribuées chaque année au secteur de la pêche, il y en a 200 millions qui vont en subventions gasoil. C’est à dire que deux tiers des aides publiques à la pêche sont des aides qui ne construisent rien puisqu’au moment où l’aide est dépensée, elle part littéralement en fumée. Donc on ne construit rien pour l’avenir. En fait, on paye la facture de gasoil des bateaux les plus énergivores, qui vont devoir tracter les filets. Et donc c’est comme ça qu’on a 100 chalutiers de plus de 25 mètres qui à eux seuls captent la moitié de la détaxe. C’est à dire qu’on a 100 navires qui touchent 100 millions d’euros de détaxe gasoil quand 87 % de la flotte qui est de la pêche artisanale va toucher 16 % de cette détaxe. Donc c’est toujours la même idée de David contre Goliath. Et qui est ce qu’on en train d’aider ? Aujourd’hui, la politique publique française et européenne aide Goliath qui est en train de détruire la pêche artisanale alors que c’est eux qui ont la pire performance sociale, économique et environnementale.

Parce qu’on a eu aussi la capacité de montrer avec des scientifiques sur la base de données publiques existantes, que non seulement on aide aujourd’hui les chalutiers de fond en leur payant leurs factures gasoil, mais c’est la pire technique de pêche pour le climat, pour la biodiversité. Mais c’est aussi en termes d’emplois, très peu créateurs d’emplois et ça coûte extrêmement cher en subventions publiques parce que ce sont des navires qui ont une très forte consommation et dont on sait aujourd’hui qu’on peut – en fléchant l’argent public différemment – gagner sur l’ensemble des tableaux en protégeant le milieu marin, en promouvant une pêche durable. On va être capable d’avoir des bénéfices pour le climat, pour la biodiversité, pour l’emploi et pour les finances publiques.

Charlotte Simoni

Avant de conclure cette discussion par les solutions à mettre en place pour favoriser une pêche plus responsable, j’ai demandé à mon invité quel est le consensus scientifique concernant le chalutage de fond. Ce qu’en pensent les Français et le poids des lobbys auprès des institutions.

Swann Bommier

Aujourd’hui, on est dans un moment politique en France qui est inédit, très compliqué. Très compliqué aussi parce que le lobby du chalut, depuis que Bloom a tiré la sonnette d’alarme sur le fait qu’on avait des aires marines protégées qui étaient en réalité chaluter quotidiennement, se rend compte que la situation n’est pas tenable. On a fait un sondage Ipsos qui révèle que plus de la moitié de la population française pense que ces techniques de pêche sont déjà interdites dans les aires marines protégées. Puisque ça semble inconcevable de dire qu’on a des aires marines protégées qui ne servent à rien. La majorité de la population française souhaite qu’on protège les écosystèmes marins. On a aussi un consensus scientifique international qui est porté par les scientifiques de l’IPBES et par l’Union internationale pour la conservation de la nature qui a été repris dans la revue Nature. Donc on a un consensus absolument massif pour dire que le chalutage doit être interdit dans toutes les aires marines protégées.

On doit aussi interdire toutes les aires marines protégées, les navires de plus de douze mètres, parce que comme ça, on aura au sein de ces aires marines protégées une pêche qui est véritablement à faible impact. Donc on a un consensus scientifique, on a des attentes citoyennes, mais on a un lobby du chalut très puissant qui refuse qu’on remette en cause le statu quo. Et donc toute la question aujourd’hui, c’est la question qui se pose sur les pesticides, sur la transition écologique, la transition énergétique, c’est toujours la même question. C’est la question de la démocratie, de la volonté politique à changer un modèle économique qui nous mène à l’effondrement et à l’abîme. Et surtout ce qu’on voit avec les aires marines protégées et la protection du milieu marin, c’est que c’est un vrai enjeu de transition et cette transition, ça fait des décennies qu’on sait qu’il faut la mettre en œuvre.

En 2006, on a un rapport du secrétaire général de la mer et des bureaux du Premier ministre qui explique que le chalutage est condamné parce que trop énergivore et donc avec les coûts croissants de l’énergie, le chalutage est voué à disparaître. Donc ça, c’est en 2006, on est 20 ans plus tard et le lobby du chalut continue à dire qu’il faut subventionner leur facture de gasoil et que rien ne doit changer. Et dès qu’on émet l’idée qu’on puisse interdire le chalutage dans certaines zones, on a une levée de boucliers monstrueuse qui a fait qu’en mars 2023 quand la Commission européenne a publié un plan d’action en disant qu’il fallait interdire le chalutage dans les aires marines protégées, on a eu une levée de boucliers telle en France qu’on a eu des manifestations de pêcheurs et à la fin, l’incendie des bureaux de l’Office français de la biodiversité à Brest. Et tout ça alimenté par des mensonges à répétition du Comité national des pêches et du gouvernement par la voix d’Hervé Berville, qui ont alimenté la peur en disant « vous vous rendez compte, si on interdit le chalutage de fond dans les aires marines protégées, on va tuer la pêche demain ». Et donc on a comme ça un refus qui est orchestré et organisé par le lobby de la pêche industrielle avec le gouvernement pour refuser tout avancée et pour refuser d’engager tout débat sur la transition du secteur.

Charlotte Simoni

Pour finir, et comme à mon habitude, j’ai donc demandé à mon invité comment agir dans la lutte contre le chalutage de fond et quelles solutions mettre en place à l’échelle individuelle pour être certain de consommer des poissons issus d’une pêche plus responsable.

Swann Bommier

Alors la première chose à faire, c’est que la France va accueillir en juin 2025 à Nice la troisième conférence des Nations unies sur l’océan. C’est à dire qu’en 2015, on avait eu la COP21 sur le climat. En juin 2025, à Nice, on aura l’équivalent de la COP, mais pour le sujet de l’océan. Et donc la France va être sous le feu des projecteurs parce qu’on va accueillir cette grande conférence internationale sur l’avenir de l’océan. Donc la première chose à faire, c’est tout simplement, d’ici juin 2025, de signer nos pétitions pour une transition du secteur. C’est interpeller les membres du gouvernement sur les réseaux sociaux quand ils annoncent qu’on va faire ceci et cela pour l’environnement, pour l’océan de dire : mais dans ce cas-là, est ce que vous allez interdire le chalutage de fond dans les aires marines protégées ? Est-ce que vous allez arrêter de subventionner les méga chalutiers ? Est-ce que vous allez exclure les chalutiers de la bande côtière ? Est-ce que vous allez engager la transition du secteur ? Etc, etc.

Donc la première chose à faire, c’est de participer collectivement à cette mobilisation pour rendre cette situation qui a longtemps été inconnue du grand public, tellement insupportable dans le débat public et auprès du gouvernement, pour qu’on ait enfin un peu de courage politique qui s’exprime.

La deuxième chose à faire après, vraiment pour le coup, à l’échelle très individuelle, c’est de regarder par quelles techniques de pêche les poissons que vous achetez ont été capturés. Et ça, c’est une obligation légale. Quand vous achetez du poisson frais, il faut que l’engin de pêche avec lequel il a été capturé soit indiqué. Et si vous voyez que ça a été pris au chalut, au chalut de fond, à la scène, vous savez que ça a globalement été une catastrophe pour le climat et pour la biodiversité marine. Et dans ce cas-là, il ne faut pas l’acheter.