Photo de Maud Lelièvre

Épisode 01

Intégrer la biodiversité dans sa stratégie d'entreprise

Maud Leliévre, Présidente de l’UICN

Saviez-vous que 80% des emplois français dépendent directement ou indirectement de nos écosystèmes ?

Les filières de l’agriculture, du bois, de la pêche et du tourisme étant les plus tributaires de nos ressources naturelles.

Pour autant, les entreprises investissent moins de 5% de leurs dépenses dans une stratégie en faveur de la biodiversité.

« La biodiversité est un thème difficile à incarner dans les métriques simples. Il existe plusieurs unités de mesure concentrées sur une seule des différentes sources de pression sur la biodiversité (artificialisation des sols, pollution de l’air, pollution des eaux, surexploitation des ressources) », explique Maud Lelièvre, directrice de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (Comité français de l’UICN).

Alors, comment pousser les dirigeants à prendre en compte les écosystèmes dans leur stratégie de groupe ?

« Il faut intégrer les questions de responsabilité environnementale dans les board, prévoir des reporting auprès des actionnaires et introduire les limites planétaires dans le business plan des entreprises ».

Bref un épisode riche et passionnant qui, je l’espère, vous permettra de nourrir votre réflexion sur l’importance de la prise en compte de la biodiversité en entreprise.

Belle écoute !

CHIFFRES CLÉS

40%

des pollinisateurs invertébrés sont en voie de disparition, dont une majorité d’abeilles et de mouches

18%

des espèces terrestres auront un risque élevé d'extinction dans un réchauffement de 2°C d'ici 2100

50%

du PIB mondial dépend des ressources naturelles, soit 44 000 milliards de dollars

SOLUTIONS

Pour les plus jeunes :

Les jeux de cartes Défis Nature qui sensibilise les enfants à la préservation de la biodiversité (à partir de 7 ans). Le but ? Collectionner des cartes représentants des animaux du monde entier, découvrir leurs caractéristiques et jouer tout en apprenant. Le jeu se base sur un principe simple : les joueurs parient sur les caractéristiques de leurs animaux pour remporter des batailles. On salue également le processus écoresponsable de la maison mère Bioviva, qui fabrique ses jouets dans la Drome, sans emballage plastique, ni de pile ou colle et avec un papier carton labélisé « forets durablement gérées ».

Pour tous les publics :

Suivre une fresque de la biodiversité – en ligne ou en présentiel – pour mieux comprendre les enjeux liés à la biodiversité et établir des pistes d’actions concrètes via un atelier ludique et collaboratif. Vous découvrirez notamment le fonctionnement d’un écosystème, le rôle de la biodiversité pour l’humanité et les menaces liées à son érosion.

Pour les entreprises :

Un guide complet qui a pour objectif d’accompagner les entreprises dans la mise en place d’une démarche de prise en compte de la biodiversité́ via la construction d’un plan d’actions efficace, ou en aidant les entreprises possédant déjà une stratégie pour la biodiversité à affiner son engagement et approfondir sa démarche.

RESSOURCES

TRANSCRIPTION DE L'ÉPISODE

Charlotte Simoni

Bonjour Maud ! Pourriez-vous vous présenter, m’expliquer le rôle de l’UICN, comment vous en êtes arrivée à la présidence de cet organisme et votre parcours ?

Maud Lelièvre

Donc, moi, je suis très intéressée par les questions environnementales de longue date. J’ai été adhérente jeune à la LPO. J’ai eu la chance d’avoir un père qui m’a traîné en forêt, qui était prof de biologie, qui était agriculteur et qui m’a traîné en forêt faire des expériences. On a élevé et recueilli tout un tas de bestioles à la maison. Pas des chats, des mantes religieuses, des hérissons… Donc c’était un peu le recueil de la faune sauvage locale mal en point. J’ai d’ailleurs fait des études en droit de l’environnement. J’ai fait Sciences Po, avocate au barreau de Paris, spécialité environnement. J’ai travaillé sur des dossiers en France et à l’étranger, sur le préjudice environnemental, les écocides. J’étais dans le procès Total sur la marée noire de l’Erika. Et mon chemin a croisé celui de l’UICN et je suis devenue experte internationale de l’UICN puisque ce sont des commissions et des membres d’ONG ou des membres d’États ou d’agences d’État, mais aussi des individus qui – en fonction de leur CV – sont des membres, experts internationaux. Quand j’ai repris la direction d’une organisation environnementale, j’ai rejoint avec cette organisation l’UICN et je me suis engagée auprès du Comité français. Voilà, une longue aventure où j’ai trouvé des gens passionnés et avec qui on partageait les points de vue. Et surtout, ce que je trouve vraiment intéressant, c’est le l’hétérogénéité des profils. C’est vrai que c’est un endroit où on peut parler à la fois avec un prof de droit, un éminent spécialiste des requins et puis le directeur d’une agence de lutte contre le trafic en Arménie. C’est une très, très belle communauté et c’est vraiment intéressant de pouvoir croiser et de pouvoir faire du transversal.

Parce qu’en fait, la solution, elle n’est ni dans l’expertise uniquement, ni dans le scientifique uniquement, ni dans le droit uniquement.

Charlotte Simoni

D’ailleurs, vous êtes combien au total ?

Maud Lelièvre

1538 au niveau mondial. Ça semble peu, mais ce sont des très grosses organisations. Par exemple, typiquement, à titre d’exemple, l’organisme qui s’occupe des oiseaux, qui s’appelle BirdLife LPO, qui est une très grosse association française et très vieille association française, n’est qu’une partie de BirdLife qui elle-même n’est qu’une organisation plan mondiale. C’est la même chose pour WWF, présent sur l’ensemble de la planète quasiment. Donc en fait ce sont des très grosses organisations qui sont membres. Et puis il y a un certain nombre d’États. Voilà, au niveau français, on est moins nombreux évidemment, mais on est quand même le deuxième plus grand comité au monde après celui des États Unis, avant celui de la Chine. On est en train de finaliser les adhésions 2024, mais on presque bientôt 80 membres, aussi bien le Conservatoire du Littoral et le Muséum d’Histoire naturelle ou l’Office Français de la biodiversité. On a un souci particulier, nous, de beaucoup travailler en coopération avec toute la zone francophone. D’abord parce que on a une communauté de vue, d’esprit. On a des programmes partagés. Les oiseaux migrateurs ou les programmes de développement se font très souvent entre nous en Europe. Et puis l’Afrique et plus qu’avec peut-être nos voisins belges ou de Roumanie. Enfin, il y a des logiques et des corridors de migration qui sont plutôt ceux-là.

Et puis parce qu’on a on partage une partie du même droit. Le droit d’un certain nombre de pays francophones est très proche du droit français. Comme le droit est aussi un levier, la façon de faire sur les politiques publiques et on essaie d’avoir des échanges, du renforcement de capacités et de la coopération et travailler aussi sur les trafics des hommes ou les flux des hommes qui aussi agissent sur la consommation et les trafics d’animaux.

Typiquement, on a un énorme programme sur la viande de brousse, ou plutôt pour lutter contre l’importation massive de viande de brousse qui se fait aujourd’hui en Europe. Alors on sait aujourd’hui qu’on a une tonne de viande de brousse et marginalement quelques animaux vivants mais qui sont saisis par semaine à l’aéroport Charles de Gaulle. Si on multiplie par le nombre d’aéroport plus le fait qu’on saisit sans doute qu’une part marginale, on est entre cinq et dix tonnes qui arrivent par semaine. Ce sont des espèces citées ou des espèces protégées sur la liste rouge qui est le baromètre de l’UICN, c’est à dire un peu l’indicateur sur le danger de survie pour une espèce et ces animaux sont prélevés dans leur milieu naturel au détriment des populations locales qui pourraient avoir une chasse de consommation pour être envoyées à destination des grandes capitales d’Afrique ou des pays européens où on est plus sur un sujet culturel que sur un besoin de protéines.

Charlotte Simoni

C’est dans quel but ?

Maud Lelièvre

La destruction des habitats fait qu’aujourd’hui on a des espèces en danger et une consommation, une demande de consommation qui est plus importante. Donc gros sujet cette question de viande de brousse, à la fois parce que ça, ça, ça détériore la faune locale, ça déséquilibre l’écosystème, mais ça atteint aussi les populations. Ce sont des espèces prélevées et transportées dans des conditions sanitaires évidemment, qui ne respectent absolument aucune contrainte sanitaire. Donc c’est typiquement ce genre de dossier que nous on essaie de traiter.

Charlotte Simoni

Comment intervenez-vous ?

Maud Lelièvre

Alors d’abord en soutien aux populations locales à travers des programmes d’investissements. Parce que on ne peut pas construire des politiques internationales si on n’a pas une vraie coopération entre les états. C’est vrai, quels que soient les sujets, mais c’est encore plus vrai quand les populations locales ont besoin de soutien économique, financier et d’ingénierie. Donc il faut commencer par aider localement. Moi, l’exemple que j’aime bien, c’est le restaurant communautaire qu’on a réussi à faire ouvrir par des femmes à Lambaréné qui vend aujourd’hui des plats à base de poulet. Donc ça veut dire moins de prélèvement de viande de brousse, une activité plus simple parce que c’est plus simple d’avoir des poulets d’élevage que d’être obligé de faire des kilomètres pour aller tuer des animaux. Et puis la possibilité pour les femmes à travers ce restaurant d’avoir une activité économique qui leur permette d’apporter de l’argent à leur communauté et d’ouvrir une case de santé, de scolariser les enfants. Donc c’est vraiment un cercle vertueux, un développement local.

Charlotte Simoni

Je me permets juste de vous couper deux minutes. Mais combien de temps pour monter un projet comme celui-ci, par exemple ?

Maud Lelièvre

J’allais dire des années et des années parce qu’on a on a 16 ans de recul sur les prix aujourd’hui. Les programmes, il y a une partie du Savoir-Faire qu’il faut acquérir. On a le droit de commettre des erreurs, s’apercevoir que des choses qu’on fait au plan local ne fonctionnent pas. Donc il faut changer. On a des contextes évolutifs, j’allais dire on ne peut pas faire de projets à moins de cinq ans parce qu’en fait, sinon c’est du one shot, c’est de la communication. Et si on veut que les choses s’installent dans la durée, il faut être là en soutien jusqu’à ce que les projets soient économiquement viables. Le but ce n’est pas de faire un truc pour se faire plaisir, pour mettre un indicateur, un RSA. Ce n’est pas ce qu’on cherche, mais quand on fait de la coopération d’abord, le contexte international change malheureusement. Enfin, nous on a beaucoup de pays sur lesquels on intervient, où la situation pour les gens, elle est extrêmement difficile. On a une pression sur les populations qui est forte à la fois en termes de sécurité civile, mais aussi d’alimentation, d’avancée, de la déforestation, de de pression du réchauffement climatique. Donc on est sur des contextes de plus en plus compliqués et puis on est aussi sur une instabilité politique.

La première chose, quand on est un être humain ou un animal, c’est de mettre en sécurité ses enfants, ses petits. Leur donner à manger. Voilà, donc c’est la même chose, un peu pour les communautés locales, les communautés animales. Et il faut vraiment prendre en compte ces considérations. On ne peut pas demander de lutter contre la déforestation quand la problématique, c’est de nourrir ses enfants. Donc c’est pour ça qu’il faut vraiment avoir ces programmes. Donc nous on intervient d’abord dans les pays et ensuite, forcément, puisqu’on est dans une mondialisation, on l’a bien vu avec le Covid ou avec les autres crises sanitaires, il faut pouvoir travailler sur l’ensemble de la chaîne et c’est là où il y a un vrai lien entre économie et biodiversité. Je ne crois pas aujourd’hui qu’on puisse changer les choses si on compte uniquement sur la bonne volonté et l’intervention des ONG, si on espère que les États se mettent d’accord tous ensemble sur des COP, même si ces deux éléments étaient réunis, ça ne suffirait pas. Il faut changer de modèle économique, il faut changer le modèle de pression qu’on a sur les ressources naturelles, sinon on n’y arrivera pas.

Et donc, quand je dis démonter la chaîne, concrètement, ça veut dire qu’aujourd’hui ce sont les compagnies aériennes, en partie françaises, qui transportent cette viande de brousse dans les bagages, qui transportent les bagages des passagers qui transportent cette viande de brousse. Et donc on a tout un système négatif, c’est à dire que les billets d’avion sont chers pour payer les billets d’avion. Ceux qui prennent l’avion font ce qu’on appelle la vente de kilos de bagages. En gros, ils acceptent de transporter des bagages pour autrui en se faisant payer X euros par kilos de bagages pour que ça leur rémunère en partie leurs billets d’avion qui sont très chers sur un certain nombre de pays de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique centrale. Donc il faut que les compagnies aériennes jouent le jeu, décident d’offrir moins de possibilités de bagages aux passagers. Et ça ne peut pas être un seul champ qui travaille. Sinon, quand on essaie de travailler, nous, avec les populations locales, si on a toute une chaîne dévastatrice des grandes compagnies qui déforeste des bateaux industriels de pêche, qui pêche tous les quotas de pêche d’une population. Nous, on écume la mer avec une petite cuillère, ce n’est pas possible.

Donc il faut une coopération et c’est l’intérêt de tout le monde. Parce que plus ça va être difficile, plus il y aura de conflits, plus il y aura des populations en difficulté, plus peut être, que ce qui est déséquilibré aujourd’hui par une compagnie qui va transporter des kilos et des kilos de viande de brousse, ce sera un état de guerre civile dans un pays qui fera que de toute façon, elle ne pourra plus desservir ce pays demain. Donc il faut vraiment avoir conscience que ça ne peut pas être du court terme et de l’intérêt financier à court terme. \

Charlotte Simoni

Hyper intéressant. Et d’ailleurs, vous évoquiez toutes les pressions que le que la biodiversité subit aujourd’hui. Justement, la question biodiversité, des activités économiques, c’est ce qui m’intéresse aujourd’hui. En fait, je voulais vous interviewer parce que récemment je suis tombée sur un chiffre qui m’a vraiment je ne sais pas qui, qui m’a remuée. En fait, je lisais que 80 % de nos activités économiques dépendaient de la biodiversité et notamment l’agriculture, l’agroforesterie et la pêche et aussi des sites naturels pour le tourisme. Et je me suis dit c’est hyper intéressant parce qu’en fait aujourd’hui on parle énormément de biodiversité.

Enfin, on commence à en parler, on parle beaucoup de réchauffement climatique. Je trouve que le sujet de la biodiversité commence à émerger, mais plus sous l’angle protection et moins sous l’angle de la dépendance. Et pourtant, nos activités économiques sont énormément dépendantes de la biodiversité. Et j’ai l’impression que c’est très peu pris en compte. Je lisais une étude de Capgemini qui disait que la plupart des dirigeants avaient conscience de ce point-là mais ne mettaient rien en place. Et ça m’a interloquée. Et donc je voulais avoir votre retour sur ce point-là. Comment vous expliquez le fait qu’aujourd’hui on ne prend pas en compte cette biodiversité dans les stratégies d’entreprise alors qu’on en dépend énormément ?

Maud Lelièvre

Aujourd’hui, 10 % des emplois salariés dépendent directement de la biodiversité. Ce sont des milliards d’euros de chiffre d’affaires. Moi, je crois qu’aujourd’hui, il n’y a pas de prise en compte. Là, je peux être en désaccord avec l’étude, mais il y a une absence de prise de conscience par les pouvoirs publics. Je pense qu’il y a une prise de conscience, mais sur des secteurs marginaux seulement. Et je reviens à mon idée de courtermiste, il y a l’idée que – ça ne va pas forcément plaire – mais c’est « consommons les ressources pendant qu’elles sont encore disponibles ».

Je vais commencer par un exemple positif, parce qu’il faut toujours savoir ce qui fonctionne. J’avais rencontré, lorsqu’on a accueilli le Congrès mondial de l’UICN, le Congrès de la nature qui a eu lieu à Marseille, les industries de la pêche industrielle, les entreprises de la pêche industrielle. Ce n’étaient pas forcément mes amis au premier abord. Je me suis dit franchement, on n’a pas le même mode de vision. Et j’avais été plutôt impressionnée par la façon dont ils avaient conscience qu’ils avaient une dépendance directe à la ressource halieutique et qu’ils avaient décidé de mettre en place des quotas avec les pêcheries, d’essayer d’adapter leurs filets. Je ne dis pas que c’est 100 % de la pêche industrielle, mais les majors que j’ai rencontrées, qui étaient les majors français, avaient cette idée qu’il fallait préserver la ressource. Sinon, demain, il y en aurait plus. Alors là, sur la pêche et la mer, ça se voit. Mais on pourrait imaginer que ce travail puisse être fait également en agriculture. Il y a eu, il y a des centaines de milliers d’emplois qui dépendent de l’agriculture. C’est la même chose pour la filière bois. C’est la même chose pour l’aquaculture. Donc il y a vraiment l’idée de se dire que préserver la biodiversité, avoir des actions de gestion, de protection directe, de protection des paysages, c’est d’avoir ça, permettre demain d’avoir des emplois qui ont au moins cet avantage, qui ne sont pas délocalisables, parce qu’on est quand même dans une tendance de la disparition de tous les secteurs d’activité dans le cadre de la mondialisation, y compris celui de l’agriculture.

Il faut arriver à préserver notre richesse locale aussi pour préserver la biodiversité. Nous en France, mais c’est également vrai pour les autres pays dans le Sud, si demain il n’y a plus de possibilité de pêche, il n’y a plus de forêt, il n’y a plus de bois pour se chauffer, pour s’alimenter, forcément, les populations vont migrer, donc ce sera forcément un sujet qui sera globalisé. Et et puis c’est juste repousser le problème finalement. Je ne sais même pas si on le repousse ou si on finit dans un corner sans solution réelle. Je pense qu’il faut quand même avoir à l’esprit aujourd’hui que même si c’est quelque chose qui est dit et redit, je pense que la plupart des gens n’ont pas intégré qu’on est dans une sixième extinction de masse des espèces. Le dernier avant nous, c’était celle des dinosaures il y a 65 000 000 d’années. Et que ça, ça devrait quand même interpeller, interpeller de façon extrêmement importante. Le baromètre dont je vous ai parlé évalue un certain nombre d’espèces. Pas tous, mais les grandes données sont catastrophiques. On a presque 30 % aujourd’hui des espèces qui sont menacées. C’est 1 mammifère sur 4. Pour ce qui est de la flore, c’est 1 conifère sur 3. Il faut imaginer ce que va être un monde sans animaux et sans son milieu naturel. Et donc, si on regarde aujourd’hui les pressions qui portent sur la biodiversité, les principales menaces, on a l’artificialisation des milieux naturels : c’est une activité humaine, c’est une activité agricole, forestière, d’extension de l’habitat humain avec la construction de villes.

C’est quand même notre responsabilité directe. La surexploitation des ressources naturelles, surpêche que j’ai évoquée, déforestation, braconnage sur les questions de viande de brousse, ce sont toutes ces situations où, même de façon pour les écosystèmes en général, la surutilisation de bois, d’énergie, de produits agricoles, le gaspillage alimentaire, l’eau, tout ça, ce sont aussi des activités humaines sur lesquelles on peut, on peut intervenir de façon directe. Le changement climatique, on va dire que c’est un effet secondaire, même s’il est d’origine humaine, c’est plus compliqué, mais ça touche aussi de façon saine. On va dire que même si on ne peut pas y agir tout de suite parce qu’il va falloir du temps et que c’est en seconde étape, on modifie les conditions de vie des espèces, on les force à migrer, elles n’arrivent plus à se reproduire. Donc c’est là aussi où on peut agir. Et puis après, il y a tout ce qui est pollution. On en parle beaucoup aujourd’hui. En France, on est en train de polluer l’ensemble du milieu dans lequel on vit les océans, les eaux douces, le sol et l’air sur les eaux.

Charlotte Simoni

Justement, en m’intéressant à la question de la rareté de l’eau, je suis tombée sur la question de la pollution de l’eau. Et en fait, on en arrive aujourd’hui à un point où même l’eau douce en surface commence à être polluée. Et si on ne vit pas dans une grande ville qui traite bien l’eau, finalement on ne va plus pouvoir en boire comme ça au robinet pendant très longtemps.

Maud Lelièvre

Moi, je voulais, si vous le permettez, qu’on sorte du champ français. Je vais vous raconter un exemple très triste. Je rentre du Népal. J’étais en déplacement où j’ai rencontré les communautés qui travaillent et les ONG qui travaillent sur la pollution de l’Himalaya. Et donc on a l’image des trekkeurs dans des paysages sublimissimes. Derrière, ce qu’on ne voit pas, ce sont les photos qui m’ont été montrées. Des films qui montraient une déchetterie, un bidonville à ciel ouvert où en fait les gens pour arriver à travailler dans de bonnes conditions, surtout pour les trekkeurs européens ou américains partent avec des bouteilles d’oxygène pour pouvoir se ressourcer le soir avec de l’alimentation lyophilisée pour ne pas être malade, etc. Et abandonnent tout ça au fur et à mesure, jettent tout sur la route. Et les photos font mal au cœur. Ce sont des dépotoirs à ciel ouvert comme on connaissait dans les années 80 où on passait à côté de montagnes de déchets dans les eaux les plus pures du monde. Et donc, aujourd’hui, ces eaux ruissellent vers l’agriculture qui est une des seules richesses que le Népal pour nourrir sa population. Pleine de métaux lourds, de pesticides, de différents polluants. Et en fait, inondent l’agriculture et polluent toutes les eaux qui servent à alimenter la population du Népal. Donc aujourd’hui, on est en train de créer un dépotoir à ciel ouvert dans l’Himalaya.

Aujourd’hui, ma ligne de fracture est là : est-ce qu’on est dans le récréatif ou est ce qu’on est dans le vital ? Et on pourrait le porter sur l’ensemble des activités humaines et on s’apercevrait qu’on fait beaucoup de choses qui ne sont pas absolument nécessaires.

Et peut-être pour finir sur la dernière pression que je n’ai pas évoquée, parce qu’on est aussi dans une partie du récréatif, c’est l’introduction des espèces exotiques envahissantes, typiquement. Des animaux, des petites tortues, des insectes qu’on va amener et puis finalement on va se débarrasser dans le milieu naturel parce qu’on ne sait pas quoi en faire. Ou le poisson dont on va se débarrasser dans les toilettes ou les plantes qui sont jolies et qui du coup vont faire très bien dans les jardinières. Et en fait, on s’aperçoit que c’est elles qui colonisent ensuite des étangs, des égouts. Enfin voilà, aujourd’hui c’est un tiers des espèces terrestres qui sont menacées par ces espèces exotiques envahissantes. Donc si on cumule quand même tous ces effets, on se dit qu’il y a quand même beaucoup d’activités humaines sur lesquelles on peut agir de façon directe. On est quand même tous concernés par cet appauvrissement de la diversité des écosystèmes et qu’on n’en mesure vraiment pas les risques.

Charlotte Simoni

Ce que j’ai du mal à comprendre, c’est comment vous expliquez ce manque de prise de conscience ? Les effets sont visibles pourtant. Enfin, je veux dire, on ne peut pas passer à côté. Je ne sais pas si vous avez vu récemment sur Arte, il y a eu un reportage sur Ikea comme quoi – je crois – que toutes les deux secondes dans le monde, il y a un arbre qui est abattu par Ikea. C’est énorme ! Donc je m’interroge : pourquoi la prise de conscience n’est pas là ? Est-ce que c’est un déni ? Est-ce que c’est trop lointain ?

Maud Lelièvre

D’abord, c’est une prise de conscience individuelle. Vous donnez l’exemple d’Ikea. Moi je les ai vus aussi, les arbres abattus toutes les deux secondes. C’est d’abord nous, les citoyens, les consommateurs qui créons cette situation. Aujourd’hui, les recycleries française Emmaüs sont pleins et leurs entrepôts sont pleins de meubles. Donc si les gens voulaient un meuble, ok c’est plus au goût du jour, mais si les gens voulaient une table ou une bibliothèque, il y en a plein et en général il y en a déjà chez vous. Et quand les gens changent leur décoration, leur ameublement, ce n’est pas forcément parce qu’il y a une usure. Une fois qu’on accepte les chambres d’enfants qui grandissent, c’est simplement une envie de répondre à la société de consommation. Les temps changent, on a envie de changer sa décoration d’intérieur. Et puis, comme on a tous intégré depuis les années 70 cette espèce d’idée de de consommation illimitée, jetable, Finalement, on se débarrasse d’un meuble. Parfois sur le trottoir de sa ville. Voilà. Donc avant, il y a certes ce que fait le géant suédois, mais c’est ça répond aussi ce qui a détruit les forêts. C’est parce qu’il y a un acte et une demande en face.

Charlotte Simoni

Je comprends, mais je veux dire, avec la fast fashion, c’est pareil. À un moment donné, s’il n’y a plus d’arbres, ils ne pourront plus avoir leurs activités non plus. Donc je ne comprends pas pourquoi ils n’intègrent pas leur dépendance à la biodiversité, la protection des forêts dans leur stratégie de groupe. Ça devrait être évident pour moi, au même titre que la pêche, ce que vous évoquiez tout à l’heure.

Maud Lelièvre

Parce qu’on est sur du court termiste, on abat des arbres centenaires pour faire des meubles qui vont durer dix ans, enfin. Donc c’est. Et puis on pourrait reprendre le même exemple dans la Fast-fashion où la demande c’est d’acheter très peu cher, très vite, changer tout le temps. Il y a les débats qui sont en cours aujourd’hui à l’Assemblée nationale, mais on a plus de dix kilos de déchets, du textile par an et par français en plus. Tout ça contribue au réchauffement climatique.

Charlotte Simoni

Et là encore, pour l’industrie du textile, il y a un moment donné, ils sont très dépendants de la culture du coton par exemple. En plus ça demande énormément d’eau, etc. Mais plus on va aller vers le réchauffement climatique, plus le climat va être chaud, moins on va pouvoir cultiver du coton. Donc là aussi, c’est pareil. Les industries textiles, les géants du textile devraient intégrer ça dans leur stratégie de groupe. Ça me paraît fou en fait. C’est business is business finalement, c’est plus.

Maud Lelièvre

C’est aussi que tout simplement dans une c’est on est on est dans une société. Tant qu’on n’aura pas intégré la sobriété comme étant une valeur positive ça ne va pas changer et donc les modèles économiques ne vont pas changer. C’est pire. En fait, même pour le trafic d’espèces, c’est encore pire. Je vais vous donner un exemple qui n’est pas très réjouissant non plus. Je suis désolée, je vais essayer de trouver quelques éléments positifs. Peut-Être aussi on entend parler tous ces exemples. La mondialisation. Je vous ai parlé de la viande de brousse, mais en fait c’est la demande qui crée l’offre, c’est à dire qu’on est quand on est sur Ikea ou sur des majors des textiles, ils produisent de l’offre qui crée de la demande, où les gens voient la nouvelle collection et ça leur donne des envies.

Et il y a encore pire, c’est quand c’est la demande qui crée l’offre. Exemple le plus dramatique qu’on a nous, et qu’on a constaté les quelques derniers mois. C’est la nouvelle mode aux États Unis qui consiste à décorer son appartement de New York avec des crânes d’êtres humains, des crânes de petits primates et puis des coraux. Vous avez besoin d’un banc de coraux pour décorer votre bibliothèque ? Vous en passez commande et des gens vont les prélever directement dans la mer. En revanche, pour les crânes de chimpanzé, les gens passent commande sur les réseaux sociaux. Et puis, vous avez quelqu’un qui va les prélever en forêt. Et comme en plus la demande, ce sont les petits primates, vous allez devoir en tuer cinq ou six en plus des petits car les adultes défendent leurs bébés. Les douanes françaises ont saisi il y a un an 400 crânes. Ils ont été découverts en quelques mois en zone de fret et en fait c’est revendu à peu près 1 000 € aux États Unis. Alors aujourd’hui, ils sont stockés, c’est acheté 20 ou 50 € auprès des populations, auprès des gens qui vont les chasser et puis après c’est revendu de façon exponentielle parce que le trafic d’espèces rapporte beaucoup. Si on prend l’espèce qui est la plus proche de la nôtre, le chimpanzé. En 50 ans, 70 % des populations de chimpanzés ont disparu.

Et d’ailleurs pourquoi Air France accepte de transporter des bagages remplis de viande de brousse et d’animaux trafiqués ? Parce que ça leur permet de vendre des billets plus chers et ça fait augmenter leur chiffre d’affaires. Ils le savent, ils en sont conscients. Ce sont des échanges qu’on a avec eux. D’ailleurs, avec la plupart des entreprises, le dialogue, c’est souvent un dialogue de sourd, car vous touchez au business model. Et puis vous comprenez que si nous on ne le fait pas, d’autres le feront. Donc tant qu’on n’aura pas une prise de conscience, une responsabilité, moi, dans mes rêves utopistes, j’espère que demain on aura un tribunal pénal international sur les crimes environnementaux. Parce que à un moment donné, que ce soit la responsabilité d’une compagnie, d’un État ou d’une organisation, il y a des responsabilités qui doivent être pointées, des responsabilités aussi individuelles. Tant qu’on n’aura pas ça, on reste sur des plaidoyers. Et oui, il faut se dire que demain vous pouvez perdre de l’argent, être condamné, être condamné personnellement, si vous pas si vous ne savez pas, mais si vous. Une fois que vous avez été prévenu que ça a été démontré, c’est le cas sur le trafic aérien, il y a des saisies sur 100 % des avions, 100 % des passagers ont des animaux trafiqués dans leurs bagages.

Charlotte Simoni

Vous avez des indicateurs ?

Maud Lelièvre

Les bagages arrivent sanguinolents à l’aéroport, les bagagistes refusent de les transporter. Les gens arrivent de vacances avec des glacières dans lesquels il y a du poisson ou des animaux. Il faut aller au moins une fois dans sa vie faire l’arrivée à Roissy Charles de Gaulle pour s’apercevoir que ce n’est pas un phénomène marginal. Donc quand on en a pleinement conscience, je trouve que c’est criminel de la part des entreprises de ne pas changer de business model.

Charlotte Simoni

Mais est ce qu’on a des lois en France qui encadrent – au même titre qu’on a aujourd’hui pour les entreprises de plus de 400 ou 500 salariés l’obligation de faire leur bilan carbone – ces pratiques qui touchent à la biodiversité en entreprise ?

Maud Lelièvre

On a tout un ensemble de contraintes qui pèsent sur la RSE. Il y a les rapports, l’obligation de vigilance d’un certain nombre d’entreprises d’ailleurs pour lesquelles elles sont remises en cause. C’est par exemple le cas aujourd’hui de Total, qui est poursuivi par un certain nombre d’associations. Le rapport RSE doit faire un bilan des émissions de gaz à effet de serre, montrer en quoi, à quel point l’entreprise contribue au réchauffement climatique à travers ses activités. On a un corpus aujourd’hui.

La première étape, c’est qu’il y a souvent une méconnaissance de ce qui serait vraiment efficace. Là, je plaide de façon positive pour les entreprises, c’est que parfois on a laissé la RSE à quelqu’un qui en a demandé avant tout de remplir des tableaux Excel, d’essayer de mettre en valeur des actions sociales et économiques. Alors ça se traduit de façon parfois un peu caricaturale avec des entreprises qui vont faire mettre des hôtels à insectes dans leurs parcs, faire des fresques pour la biodiversité ou pour le climat qui peuvent avoir un intérêt mais qui n’est absolument pas suffisant. On peut se dire que finalement il y avait un certain nombre d’entreprises qui ne savaient pas faire, qui essayaient de bien faire.

Et puis il y a une déconnexion entre les boards et entre parfois ces gens qui font de la communication, de l’environnement ou de la RSE un peu tout seul. Donc pour que ça puisse changer, il faut un certain nombre de réformes ou en tout cas, c’est ce pourquoi on plaide. La première chose, c’est qu’il faut intégrer les questions environnementales, de responsabilité environnementale, repenser la gouvernance des entreprises, Il faut que ce soit intégré dans les boards. Parce que si vous avez une instance qui discute de profits, d’investissements, d’emplois et que vous avez souvent une femme, d’ailleurs, la gentille femme qui fait ses tableaux Excel de la RSE en disant on a fait des fresques pour le climat, il n’y a pas un moment donné où tout ça se rejoint. Donc pour les entreprises, il faut pouvoir intégrer ça en type d’analyse de risques, en considérant par exemple qu’il y a des dépendances, que l’entreprise est dépendante et que dans sa chaîne de valeur, elle doit intégrer comment on va intégrer l’absence d’esclavagisme pour la production de textile ou le fait de ne pas contribuer au génocide de populations par exemple.

Il faut intégrer le risque environnemental dans la chaîne de valeur, prévoir des reporting stratégiques auprès des boards mais aussi auprès des actionnaires. Le seul indicateur ne peut pas être le profit. Et si on introduit ça à un moment donné dans ce qui va être la décisionnaire de l’entreprise. J’espère qu’avec des bons outils du pilotage économique en fonction des objectifs environnementaux, du développement d’outils de partage de données qui permettent d’évaluer la pertinence de modèle, on puisse avoir un changement. Si ça reste juste un reporting obligatoire décidé par une assemblée parlementaire de façon marginale, on n’y arrivera pas. Prenons en compte des indicateurs, mais ne les suivons pas si on n’en est pas obligé. Il faut vraiment introduire la notion de limites planétaires dans le business plan des entreprises et comme une obligation de le respecter à moyen terme. Et puis, si on a des entreprises, parce que ce sera le cas, qui produisent dans de mauvaises conditions environnementales, mais on peut aussi dire sociales, quand on achète un tee-shirt qui est produit par des Ouïghours à l’autre bout de la planète ou dans des conditions d’esclavage ou avait fait par des enfants mineurs, on va payer 1 €. On peut, quand on achète quelque chose de très peu cher qui a fait deux fois le tour de la planète, on ne peut pas considérer que la matière première, le coton, a été exploité dans des conditions équitables.

C’est souvent des enfants qui ramassent le coton dans les champs de coton au lieu d’aller à l’école dans des lieux extrêmement couverts de pesticides. On ne peut pas considérer que les gens qui l’ont transformé, qui ont fait les vêtements, étaient payés au juste prix et que tout ça est voyagé dans de bonnes conditions, sans empreinte carbone. Donc on a la responsabilité du consommateur, mais on doit aussi avoir la responsabilité de la pénalisation de ceux qui décident dans les entreprises. Moi, je suis pour, s’il faut mettre des barrières comme on est en train de de l’avoir. Sur la question de la déforestation importée, ça fragilise les populations locales qui dépendent des écosystèmes comme pour l’alimentation, mais qui dépendent des écosystèmes forestiers. Donc si on n’arrive pas à transformer l’ensemble des entreprises mondiales, il faut mettre des barrières à l’importation, comme on l’a dans d’autres domaines. Sur les normes de sécurité, on ne peut pas faire rentrer n’importe quel jouet dans l’Union européenne, même si les produits sont utilisés par des enfants à l’autre bout de la planète, il y a des normes à respecter.

Donc c’est sur ces normes parce que s’il n’y a plus de marché, il y aura forcément des solutions qui vont être trouvées et ce qui va s’imposer sur la déforestation, il faut que ça s’impose sur l’ensemble des produits agricoles, sur les sur la pêche. Voilà, ça ne peut pas fonctionner dans un univers mondialisé sans règles.

Charlotte Simoni

Oui, tout à fait. Et je me posais la question, notamment sur la quantification de l’impact qu’une entreprise peut avoir sur la biodiversité ou aussi sa dépendance : est-ce qu’il n’y a pas un manque de formation des professionnels en France sur ces questions ?

Maud Lelièvre

On les a les compétences et on peut le faire. Je pense qu’on se retourne toujours vers l’absence de compétence quand on veut gagner du temps. Moi, ça me rappelle les débats qu’on a eu il y a quinze ans dans le BTP où les gens disaient « oui, il faut rénover, mais on n’a pas les compétences et quinze ans après, on a toujours le même discours sur on n’a pas les compétences ». Je pense que on a une partie des compétences. Intégrer les enjeux et les interdépendances entre la biodiversité et les activités humaines dans les décisions de son entreprise, je pense que les gens l’ont et savent très bien d’ailleurs où trouver les ressources naturelles pour faire fonctionner leur entreprise. Structurer son analyse sur les dépendances et l’impact de son entreprise, ils l’ont bien au regard des réglementations, par exemple sur les installations classées en France. Donc j’imagine que la plupart des entreprises ont intégré les risques et les opportunités de l’enjeu biodiversité. Finalement, on l’a bien dans les normes sociales.

On ne décide pas de faire venir des enfants de 5 ans dans son entreprise à Limoges parce qu’ils vont coûter beaucoup moins cher que des salariés pour lesquels il va falloir payer de la TVA. Trouver des solutions pour aborder l’enjeu dans l’entreprise, même si je n’aime pas les fresques et autres sujets un peu exotiques. Mais non, en fait je pense. Quand on fait des tableaux Excel et des indicateurs ont dit « On a sensibilisé 100 % du personnel ». Moi, j’aimerais mieux avant tout que les gens capables d’expliquer l’acidification des océans, s’interrogent sur leur propre modèle économique d’activité parce que c’est là où on ne les attend pas.

C’est bien de faire monter la compétence générale de la population sur l’environnement, mais à la seule condition que ça se traduise par des axes d’amélioration, parce que sinon, soit ça crée du stress, soit ça crée finalement un désintérêt parce qu’à force de mauvaises nouvelles, c’est comme sur le climat, on est en train de battre les records de température tous les mois par rapport à une date donnée. Finalement, les gens finissent par ne plus écouter, ne plus entendre. Donc ce sont des axes d’amélioration. Par exemple : si dans une entreprise, 80 % des salariés viennent en voiture, est-ce que l’entreprise a la capacité de mettre en place des alternatives pour jouer sa part et avoir sa part d’effort en faisant je ne sais pas, en donnant des primes à ceux qui va faire du covoiturage ? En trouvant des solutions sociales et environnementales, c’est utile. Si c’est juste pour constater que les transports émettent trop d’émissions sur le plan planétaire, ça ne sert absolument à rien.

Charlotte Simoni

J’ai eu un peu le cas avec une agence de voyage. J’ai dressé le bilan carbone d’un voyage mais derrière, en fait, je n’ai pas bien compris à quoi ça avait servi puisqu’il n’y a pas eu de modifications structurelles ensuite.

Maud Lelièvre

Il faut qu’il y ait de vraies solutions qui soient mises en place pour réduire et préserver la biodiversité en entreprise. C’est ce que moi j’essaie de faire passer comme message. C’est très bien d’aménager le parking de désimperméabiliser les espaces, de gérer les espaces naturels autour de son de ses bâtiments. Par exemple en zéro phyto. De mettre des nichoirs pour oiseaux. Moi qui suis membre de la LPO, je trouve ça très bien de faire de l’éco-pâturage, mais ce qu’on attend, c’est la transformation du business model. Si vous faites tout ça et que vous avez un très joli site à Saint-Quentin en Yvelines, mais que dans le même temps, la majeure partie de votre activité consiste à surexploiter des ressources naturelles de la planète, vous n’avez pas fait votre travail. La compréhension doit s’accompagner d’actions de préservation du capital naturel et pas uniquement dans l’environnement où on vit, mais celui qui est planétaire.

Charlotte Simoni

Et vous connaissez des entreprises qui ont déjà mis en place des reporting sur la biodiversité et qui ont réussi à changer les choses, à faire en sorte qu’il y ait moins de pression sur la biodiversité, à être peut être moins dépendante aussi de la biodiversité pour leurs activités économiques. Vous en avez déjà eu conscience de connaissance de ces exemples ou c’est encore très sporadique

Maud Lelièvre

Non, non, non. Après, c’est difficile. Je ne serai pas habilitée à faire un classement moi toute seule du reporting des entreprises. Il y a des entreprises qui publient bien leurs de façon à peu près cohérente leur empreinte de biodiversité. Il y a des méthodologies qui se mettent en place. Ce n’est pas forcément la difficulté. La difficulté, c’est que c’est un terme difficile à incarner dans une métrique simple. Alors déjà que la tonne équivalent carbone, les gens ont l’impression que c’est simple. C’est loin de l’être parce que si ça consiste à planter des arbres en monoculture là où on avait un écosystème naturel de savane, ce n’est quand même pas génial. Mais on a, on va dire qu’on a plusieurs unités de mesure qui sont concentrées dans une unité, alors que sur la biodiversité artificialisation des sols, pollution de l’air, pollution des eaux, surexploitation des ressources, ça devient compliqué. Donc on a des choses comme la MSA sur l’abondance moyenne des espèces, on essaie de synthétiser.

On a un certain nombre d’acteurs qui se disent qu’il faut avoir généré une empreinte biodiversité qui est l’équivalent d’une artificialisation totale d’une surface, mais ce n’est pas compréhensible pour eux. Je pense que ce n’est déjà pas compréhensible pour la population. Moi j’aime beaucoup les travaux qui sont faits par la CDC Biodiversité où en gros il y a une analyse sur les contributions positives des investissements, voir comment on pourrait atténuer l’impact négatif, voire restaurer la biodiversité. On n’a pas de lecture simple parce que de toute façon c’est un domaine complexe. Voilà. Et puis on a souvent un refus de la part des acteurs qui préservent la biodiversité de vouloir donner un prix à la nature. Parce que donner un prix à la nature, c’est finalement s’acheter le droit de pouvoir détruire la nature.

Si on vous dit voilà ce que vous avez détruit, vous pouvez compenser en versant quatre 20 000 € dans un fonds qui va replanter des arbres. Mais je crois que ça commence à émerger. Mais du coup, que vaut un éléphant ? Sa valeur, c’est 50 000 € le prix du trophée de chasse ? Ou est-ce que c’est le prix de ses défenses et de les voir et que du coup il a un taux fluctuant comme le pétrole. Au fur et à mesure que l’ivoire va prendre de la valeur, qu’il va prendre de la valeur, il y aura de moins en moins d’éléphants. Donc est ce qu’on est à 1 000 € le kilo ou est-ce que finalement on se dit que ça a une valeur patrimoniale et que ce n’est pas le prix de la défense ? Et du coup, comment on évalue tout ça ? C’est pour ça qu’il y a souvent eu un rejet de cette idée de donner la valeur à la nature. Parce que, mais on pourrait le dire, on pourrait dire la même chose sur les biens culturels. Si on détruit la Joconde, ça vaut quoi ? Ça vaut le prix des entrées du Louvre pendant 50 ans, ça vaut le prix de son assurance, ça n’a pas de prix. Voilà. Et c’est toujours difficile, c’est, ces marchés.

Charlotte Simoni

Mais je crois avoir lu un article sur les crédits biodiversité au même titre que les crédits carbone.

Maud Lelièvre

Oui, on a des indicateurs aujourd’hui, des indicateurs comptables et voilà, les entreprises sont en demande, celles qui veulent faire bien les choses, d’avoir des traductions en termes opérationnels, concrets et intelligibles par tous dans l’entreprise. C’est difficile à faire. Je pense qu’il y a tout un ensemble de règles qu’il faut mettre en place, comme intégrer les travaux qui sont faits dans la comptabilité verte, sur la soutenabilité par exemple, ou avoir des comptes de résultats environnementaux et tirer des plans d’actions de réduction sur des plans d’actions de réduction des pressions comme on a eu sur. Comme finalement là, au niveau de l’État. Quand vous constatez qu’une espèce va mal – le loup, le lynx – vous mettez en place un plan national d’action et il faudrait avoir ces plans obligatoires d’action des entreprises, sans quoi ce sera juste fondé sur la bonne volonté. Et puis, ça s’accompagne pour moi d’une obligation d’avoir des politiques fortes et radicales de transparence. C’est la seule véritable protection contre les opérations de com’. Donc il faut des politiques de transparence pour communiquer aussi sur les progrès, sur les échecs.

Alors on vous répond souvent que ce n’est pas possible parce qu’on vit dans un monde concurrentiel. Mais il faut, il faut passer par là pour créer des cercles, des cercles vertueux. J’allais dire on a réussi à avancer sur les questions sociales, le harcèlement au travail, la place des femmes dans l’entreprise. Donc c’est loin d’être satisfaisant. J’espère que ça ira plus vite dans l’environnement parce que sur les questions sociales, il faut quand même des règles, sinon ce qui est le plus faible ne serait jamais intégré dans les modèles économiques.

Et tout ça ne marche que si on décloisonne les directions Biodiversité, qui travaillent toute seule de la stratégie globale d’entreprise. Il faut d’ailleurs aussi rapprocher les stratégies d’entreprise sur climat et biodiversité. Sinon on va replanter des arbres dans des endroits en Afrique qui vous arrivent et qui ne vous ont rien demandé. D’ailleurs, pas dans cinq ans, parce qu’on va construire quelque chose, oui, ou même qu’ils vont mourir, tout simplement parce que vous faites de la monoculture d’espèces non adaptées au réchauffement climatique dans un lieu où il y avait d’ailleurs un écosystème, ça ne sert à rien. Donc moi je ne suis vraiment pas pour qu’on trouve des gadgets, créer un référent biodiversité, pour qu’on ait une vraie transformation. Et on pourrait être exemplaires en France avec des prises de risque, mais on pourrait être exemplaires sur ces secteurs là comme on l’est dans d’autres. Si personne ne le fait de toute façon, à un moment donné, ce sera trop tard.

Charlotte Simoni

Alors juste une dernière question : j’ai l’impression que finalement on n’a pas tant de mesures. Et donc je me demande mais qu’est-ce que fait le législateur en fait ? Pourquoi est-ce qu’on n’a pas plus de mesures qui vont dans un sens de protection de la biodiversité, de reporting ? Parce qu’à un moment donné, comme vous l’expliquez très bien, on est dans un monde très concurrentiel où voilà le business est ce qu’il est. Donc si une entreprise n’a pas envie de faire d’efforts, elle ne le fera pas. Alors que si elle est contrainte par des par des lois, elle sera un petit peu obligé. Donc pourquoi est-ce que le législateur ne se positionne pas plus sur cette question-là ?

Maud Lelièvre

Moi je pense que si le réglementaire doit se rajouter, ça doit être sûr de la transparence et de la pénalisation ou en tout cas de la responsabilité légale. Parce que si tout peut s’acheter avec l’argent de votre crâne de singe, c’est juste une question, une question d’argent. Aujourd’hui, c’est vraiment cette notion de d’écocide de crime qui doit s’impliquer au monde de l’entreprise. Oui, quand vous êtes le responsable d’Air France, si vous savez qu’il y a un trafic avec le Gabon ou la RDC et que vous continuez à faire voyager vos avions remplis de viande de brousse, faut être pénalisé. Je pense que la prise de conscience, elle passe aussi par des outils qui sont les outils du judiciaire. Et après il faut accompagner parce que tout le monde ne sait pas forcément comment gérer des problématiques. Donc s’il faut créer des accompagnements par secteur de coordination, c’est là où l’État doit être important. Si on doit avoir des labels qui permettent notamment de s’y retrouver dans les fournisseurs de matières premières, s’il faut accompagner les fédérations, les associations pour avoir une homogénéisation des normes à l’international. C’est ce que peut faire l’État. Il peut aussi travailler beaucoup sur la diplomatie environnementale.

On a un vrai travail d’appui aux entreprises françaises et européennes dans leur engagement positif à l’international. Et c’est ça qu’il faut la valoriser et qu’il faut essayer d’obtenir à travers les conférences, les COP. Mais, mais ça ne peut pas reposer que sur un seul pied. Et donc il faut une vraie prise de conscience. Je dis souvent pour la France qu’on travaille en équipe de France à l’international. Il faudrait qu’on travaille en équipe mondiale parce que les problématiques qu’on est en train d’ouvrir un peu partout, avec cette dévastation de la planète, on va, on va les payer à un moment donné, les migrations massives de populations en conflit. Et donc là, on saurait plus les arrêter, donc on ne pourra pas ne pas se vivre. Voilà, ce sera trop tard. C’est déjà trop tard pour un certain nombre d’endroits d’espèces. Mais la question c’est : est-ce qu’on a envie de réfléchir à plus d’une ou deux générations d’avance ?