Clement Gaillard

Épisode 07

Exploiter le potentiel climatique

Clément Gaillard, doctorant en urbanisme et fondateur du bureau d’études en design climatique Freio

Face aux conséquences du réchauffement climatique, la manière de repenser notre urbanisme est devenue une question centrale dans notre société.

La ville de Paris l’a par exemple bien compris en lançant son plan local d’urbanisme bioclimatique. Le but : privilégier les constructions bas carbone, préserver la biodiversité et adapter la capitale aux phénomènes climatiques extrêmes comme les canicules.

Et pour cause : plus de 3,7 millions de Franciliens résident dans des îlots considérés comme fortement vulnérables à la chaleur.

Pour répondre à ces nouveaux enjeux, les professionnels se tournent petit à petit vers la conception bioclimatique qui tente de concilier 2 objectifs :

  • Se protéger des aléas climatiques,
  • Et tirer parti de ses impacts.

Création d’espaces verts, adaptation du bâti, préservation de la biodiversité… j’ai interrogé Clément Gaillard – doctorant en urbanisme et fondateur du cabinet de conseil en conception bioclimatique Freio – sur ce concept architectural.

Dans son approche, il plaide pour une meilleure prise en compte du climat dans nos modes de vie et invite à s’inspirer du passé pour rouvrir nos imaginaires et repenser nos solutions architecturales.

Bref, un sujet passionnant que je vous propose de découvrir aujourd’hui !

Belle écoute !

CHIFFRES CLÉS

14%

des habitants résident dans des territoires où il y aura plus de 20 journées anormalement chaudes en été

18%

À Paris, le risque de mortalité liée à la chaleur est 18% plus élevé dans les communes les moins arborées

+10

degrés, c’est l’intensité maximum de l’ilot de chaleur urbain

SOLUTIONS

Pour les professionnels :

  • Le bureau d’études Freio, fondé par mon invité Clément Gaillard, qui réalise des études climatiques et microclimatiques (lutte contre les ilots de chaleur urbain, ventilation naturelle, conseil en stratégie climat, énergie et low tech…). Parmi ses références : le diagnostic de l’ilot de chaleur urbain de la ville d’Arles et l’analyse bioclimatique d’un plan masse pour le projet Avignon-Confluences.
  • Le centre de ressources en ligne EnviroBOITE. Un outil professionnel coopératif organisés en plusieurs thématiques (aménagement, construction, réhabilitation…) accompagné de méthodologie, d’analyse d’opération, d’approche technique… Bref, une vraie mine d’informations !

Pour tous :

Le guide ADEME intitulé « Rafraichir les villes », qui propose des solutions émergentes, adaptées à différents contextes climatiques et urbains à destination des professionnels du secteur.

RESSOURCES

  • 1 habitant sur 7 vit dans un territoire exposé à plus de 20 journées anormalement chaudes par été dans les décennies à venir (INSEE – Août 2022)
  • Adapter les villes à la chaleur : un nécessité pour réduire l’impact sanitaire des fortes chaleurs (Santé Publique France – Octobre 2020)

TRANSCRIPTION DE L'ÉPISODE

Charlotte Simoni

En juin 2023, la Ville de Paris a acté son nouveau Plan local d’urbanisme avec pour objectif principal d’adapter la capitale aux changements climatiques à horizon 2035-2040. Et pour cause : selon une étude de l’Institut Paris Région, plus de 3,7 millions de Franciliens réside dans des îlots considérés comme fortement vulnérables à la chaleur. C’est dire si la manière de repenser notre urbanisme devient une question de plus en plus centrale dans notre société.

Pour y répondre, les professionnels se tournent petit à petit vers l’approche bioclimatique qui tente de concilier deux objectifs : se protéger des aléas climatiques et tirer parti de ses impacts. Création d’espaces verts, adaptation du bâti, préservation de la biodiversité… j’ai interrogé Clément Gaillard sur cette notion de conception bioclimatique, à commencer par sa définition et son spectre.

Clément Gaillard

La conception bioclimatique, c’est une méthode de conception en architecture et en urbanisme qui consiste à partir du climat à développer les aménagements, à les imaginer différemment. Il y a une idée que j’aime bien dire, c’est que finalement, chaque climat local a une espèce de potentiel. On peut faire des choses et on peut ne pas faire des choses. Et l’idée de la conception bioclimatique, c’est d’identifier ce potentiel et de voir ce qu’on peut faire en termes de rafraichissement naturel, de chauffage passif ou de qualité de l’air en utilisant les qualités du climat comme le vent, l’ensoleillement, etc.

En gros, si on veut, la conception bioclimatique, dit qu’il y a plein de microclimats. En fait, on est tous dans des microclimats. Tu vois, là, je suis dans une pièce qui a un type de microclimat qui est différent de microclimat qu’il y a dans ma rue par exemple. Dans un bâtiment qui est déjà construit, chaque pièce a un microclimat. Tu peux avoir une pièce qui paraît bien exposée en été, et puis peut être pas trop en hiver. Est-ce que je ne vais pas penser l’aménagement et la programmation de mon espace en fonction de ces expositions existantes en fait ?

Donc c’est exactement le même raisonnement : on part de l’existant, on part des qualités climatiques et microclimatiques de ce qu’on a sous les yeux et qui n’est souvent pas si visible que ça. En fait, on part de ce qu’il y a, de ce qui est possible de faire et on voit dans quelle mesure on peut l’ajuster. Et un principe, c’est de se dire : finalement, on fait en sorte que tous les éléments mécaniques, tous les systèmes de chauffage et de rafraîchissement mécanisé soient utilisés.

En dernier recours, on va essayer le plus possible de mobiliser le climat. Par exemple, si on veut, dans le discours général qui est fait sur la conception bioclimatique aujourd’hui, ça va être des enjeux de décarbonation, de sobriété. Et évidemment, l’argument qu’on donne à des commanditaires ou à des habitants, c’est de dire : « si vous avez un bâtiment ou un appartement bioclimatique, vous allez faire des économies de chauffage et de rafraîchissement, ça va être un bâtiment plus confortable, etc ». Aux Etats-Unis, quand ils commençaient à faire les premières maisons solaires passifs, les vendeurs disaient « c’est une maison qui ne vous coûtera moins de 100 $ de chauffage par an ». C’était un argument en fait.

Mais derrière ça, il y a pour moi quelque chose de beaucoup plus important, c’est qu’en fait, quand on essaye de faire avec le climat, de vivre avec le climat, ça engage tout un ensemble de modes de vie beaucoup plus sobres. Et ce qui est important pour moi, c’est que quand on interroge les habitants qui vivent dans des maisons bioclimatiques, ils disent que pour eux, c’est une manière de se reconnecter à un certain nombre de phénomènes naturels, un certain cycle climatique. Et il y en a qui disent voilà, je vis dans ma maison bioclimatique, je vis comme un marin. En fait, je regarde le temps, je regarde si je vais fermer mes volets, etc. Donc c’est une manière aussi d’enrichir ses relations au climat. Et ça me paraît super important. Et typiquement, aujourd’hui, par exemple, je lis un petit peu de littérature d’anthropologues ont travaillé sur les meuniers, les meuniers, tu vois, ce sont des gens qui avaient besoin du vent pour vivre et pour travailler. Ils avaient un rapport au climat qui était hyper intéressant et ils étaient toujours aux aguets. Ça a marqué même l’imaginaire populaire.

Donc il y a deux choses : une espèce d’argument un peu simple effectivement, d’économie d’énergie, de sobriété. Mais pour parler très franchement, dire « on fait quelque chose pour économiser de l’énergie », ça ne me fait pas rêver et je pense que ça ne fait rêver personne, voire ça charrie un imaginaire assez négatif et déprimant.

Pour moi, l’idée c’est plutôt de véhiculer quelque chose de positif, de dire : finalement on a une qualité de relation avec le milieu plus importante. Quand on est dans une maison ou un appartement bioclimatique, on vit différemment. C’est un autre mode de vie. Mais ça a aussi façonné des cultures. Dans certaines régions d’Algérie, ils habitent les terrasses pendant la nuit parce que les maisons sont chaudes, parce qu’elles ont accumulé de la chaleur pendant la journée. Donc ça crée aussi tout un imaginaire, tout un ensemble de récits, toute une culture de l’habitat extérieur en fait. Et ça pose aussi des questions plus globales d’identité des territoires et des villes. On ne vit pas de la même manière en Méditerranée que sur la côte atlantique.

Charlotte Simoni

Cette question d’identité des territoires et des villes est d’ailleurs l’une des réflexions principales de Clément Gaillard dans sa vision de la conception bioclimatique. Il invite ainsi à dépasser l’idée d’adaptation au changement climatique en inventant de nouveaux dispositifs et modes de vie au travers du potentiel climatique, une notion qui désigne la manière avec laquelle une société, à une époque donnée, se représente les contraintes et les ressources d’un climat. En clair, cette idée comprend ce qu’il est possible et impossible de faire dans un climat à un moment précis. Clément Gaillard m’en dit plus.

Clément Gaillard

En fait, cette notion de potentiel climatique a été développée par un géographe qui s’appelle Denis Lamarre. Et j’ai lu son bouquin qui s’appelle Les métamorphoses du climat, où il explique que la notion de changement climatique global n’a pas vraiment de sens parce qu’on n’arrive pas à se représenter spatialement ce qu’est ce changement climatique global. Il dit que si on veut vraiment arriver à résoudre le truc, il faut se mettre à plus petite échelle en essayant d’exploiter le climat local. En fait, le potentiel climatique, c’est aussi bête que faire sécher son linge dehors ! En fait, tu as des climats où c’est plus ou moins simple de le faire. En clair, cette notion de potentiel climatique, c’est une manière de dire « oui, le climat change, il se réchauffe, c’est dramatique, mais il ne faut pas non plus qu’on se constitue un imaginaire de défense contre le climat, qu’on devienne à s’en protéger ». Parce qu’on sait l’exploiter. Dans certaines cultures, on a su l’exploiter.

Même un climat qui change, on doit pouvoir l’exploiter, on l’exploite différemment. Et en fait il y a des qualités qu’on peut mobiliser. Et cette notion de potentiel climatique, je l’aime beaucoup pour ça. Denis Lamarre essaie justement de conceptualiser ce truc, qui permet d’ailleurs de sortir un peu de l’éco-anxiété ou de l’angoisse générée par le changement climatique. Du point de vue de bioclimatique, ça reconfigure les différents milieux. Bien sûr, certaines zones vont devenir inhabitables parce que trop chaudes, trop humides, mais d’autres vont être transformées et rester habitables, mais avec d’autres modes de vie. En tout cas, dans l’équation de l’adaptation au changement climatique, on a toujours l’impression que notre mode de vie est le truc stable et qu’on doit se débrouiller pour qu’on arrive à adapter notre mode de vie, enfin à conserver nos modes de vie. Et puis en fonction du climat, on verra, on trouvera comment faire. Alors qu’en fait c’est beaucoup plus mobile ces questions-là.

Clément Gaillard

Je fais un aparté avant de continuer sur le sujet du potentiel climatique, car durant notre échange, Clément Gaillard m’expliquait que le potentiel climatique était aujourd’hui encore largement sous exploité. Au contraire, j’avais plutôt la sensation que notre société avait compris l’intérêt d’utiliser les phénomènes climatiques pour mettre en place des stratégies d’adaptation. Après tout, nous sommes bien équipés de panneaux solaires, d’éoliennes ou de centrales hydrauliques, mais la nuance est plus subtile.

Je laisse Clément Gaillard continuer son explication.

Clément Gaillard

En fait, on l’exploite effectivement, mais on l’exploite différemment. Par exemple : un panneau solaire ou une éolienne, ce sont des convertisseurs, qui vont convertir l’énergie dans un vecteur qui est électrique, pour que l’énergie électrique soit utilisée différemment. Mais en fait, naturellement, grâce au soleil, nos bâtiments sont chauffés tout le temps. Il y a quand même une partie l’année pendant laquelle on ne met pas le chauffage parce qu’on a trop chaud, parce qu’on a des apports solaires. Et tous ces apports solaires passifs, tout ce qui rentre par ta fenêtre actuellement, c’est une quantité d’énergie qui n’est dans aucun graphique. Si tu demain tu regardes un graphique de l’énergie solaire, tu vas dire « ok, le solaire c’est 10 % ». Mais si on fait le raisonnement inverse en imaginant une terre où il n’y aurait pas de soleil, imagine la quantité d’énergie nécessaire pour chauffer l’ensemble des bâtiments. Bon, il ferait -18, il n’y aurait pas de vie, il n’y a pas de soleil. Bon, la question ne se poserait même pas.

Il y a effectivement des choses qui se passent du côté des énergies renouvelables, mais c’est encore une toute petite partie. Et puis un truc tout bête, mais la question du vent en urbanisme ou de la ventilation, ce n’est pas simplement de capter du vent. Utiliser des éoliennes en zone urbaine, ce n’est pas très pertinent parce que le vent n’est pas assez régulier. Par contre, utiliser le vent pour rafraîchir les espaces extérieurs ou intérieurs, ça c’est plutôt positif, mais c’est assez sous-évalué. Finalement, il y a plein d’opérations où l’évaluation climatique tient sur dix lignes, sur des dossiers qui font 600 pages et où ce potentiel aura été regardé à la va-vite. Aujourd’hui, on parle beaucoup de ces questions d’énergies renouvelables, des convertisseurs qu’on installe. Mais en fait, pour moi, ce n’est encore qu’une toute petite partie de ce qu’on peut mobiliser du climat par exemple.

Autre exemple : la pluie. C’est un phénomène climatique qui peut être exploité pour refroidir les villes, pour les rafraîchir. Dans ce cas-là, il faut faire en sorte que l’eau ne ruisselle pas et soit conservée sur place. Et on s’en sert par l’évaporation. On contribue à refroidir. Regarder la pluie comme ça, c’est une manière différente de se dire « finalement, quand je fais ruisseler de l’eau de pluie dans une ville, je perds un potentiel de rafraîchissement et puis on l’exploite sous le vecteur électrique ». Par exemple, quelque chose qui était beaucoup utilisé à une époque, c’étaient les chauffe-eaux solaires qui te permettaient d’avoir de l’eau chaude sanitaire pour ta douche ou pour laver ta vaisselle par exemple. C’était beaucoup utilisé, notamment avant le développement des chauffe-eaux au gaz aux États-Unis. Par exemple, en Floride, tu avais des dizaines de milliers de chauffe-eau eau solaire qui avaient été installés et qui ont été retirés avec l’arrivée des chaudières à gaz.

Mais plus globalement, c’est en fait essayer d’avoir un rapport au climat un peu différent et aussi insister sur le fait qu’on a des climats locaux. Le climat de Montpellier n’est pas celui de Nîmes. Et dans telle rue de Montpellier, j’ai un microclimat qui est différent de la place de la Comédie. En fait, on pense la résolution de ces enjeux à une échelle nationale ou internationale, alors qu’on a des territoires qui sont extrêmement diversifiés, même à l’échelle nationale, et c’est extrêmement complexe finalement.

À une époque, ils avaient installé des routes solaires dans le nord de la France. Le truc a tenu quelques années parce qu’en fait trois camions sont passés dessus et ça a pété les panneaux. Mais ça avait été inauguré en grande pompe alors que je me demande quelle est la pertinence de faire ça à cet endroit-là. Ce qui est étonnant quand on écoute ces explications liées au potentiel climatique, c’est de se dire que cette notion est d’une part assez méconnue alors que particulièrement intéressante et finalement assez logique dans son approche et d’autre part très peu considérée par les professionnels et les politiques locales.

Charlotte Simoni

J’ai donc demandé à Clément Gaillard les raisons de l’absence de prise en compte de ce potentiel climatique dans de nouveaux projets architecturaux ou de réhabilitation.

Clément Gaillard

Le climat reste toujours un peu regardé comme un truc en toile de fond, du type « on pourra gérer le problème de manière différente avec quelques vitrages performants, un système de pompe à chaleur performant… ». Il y a un côté un peu réglementaire où on intègre les questions climatiques dans des calculs, alors que l’important serait plutôt la manière avec laquelle on se représente le problème. Aujourd’hui, une agence d’architecture parisienne peut dessiner un bâtiment à Avignon sans connaître ce qu’est le Mistral. Et c’est un problème parce que quand tu as vécu à Avignon, tu vois ce qu’est le Mistral, à quel point c’est inconfortable dans les espaces publics, même dans les espaces extérieurs privés comme les terrasses. En fait, il faut le prendre en compte. Tu ne peux pas construire quelque chose qui va être à ce point-là désagréable et mal adapté. Et ce truc-là, en fait, c’est cette idée que finalement, ben oui, il n’y a pas de vent.

Quand on conçoit, il y a un côté un peu « on part toujours un peu d’une feuille blanche finalement ». Et c’est cette idée de culture, elle me paraît importante. Un côté un peu neutre en fait. C’est ce qu’on peut faire et ne pas faire. Et l’arbitrage qui est intéressant en conception bioclimatique dans nos climats tempérés, c’est qu’on a des besoins de chaud et de froid. La question est donc la suivante : comment on se débrouille pour arbitrer entre les deux ? Typiquement le Mistral, c’est un gros problème parce qu’il est toujours dans la même direction toute l’année. Donc en fait, si je fais un quartier ou un bâtiment protégé du Mistral en hiver, il sera aussi protégé du mistral en été. Donc tu vois, c’est une espèce d’arbitrage à avoir. Donc typiquement, sur une question comme ça, l’idée c’est de dire : je vais protéger mon bâtiment du mistral en hiver, mais en été est-ce que je ne peux exploiter la brise marine qui vient de la cote ? Est-ce que je ne peux pas l’exploiter pour faire de la ventilation de mon espace extérieur ? Et de suite, ça devient hyper intéressant parce que tu dois arbitrer, faire des compromis, jouer sur les contraintes. Enfin, c’est ça qui est vraiment passionnant. Et à chaque fois tu raisonnes au cas par cas.

Charlotte Simoni

On le comprend bien, la prise en compte du climat et du microclimat d’un site joue un rôle primordial dans la qualité de vie des villes et du confort de ses habitants. Dans l’une de ses publications, Clément Gaillard prend ainsi l’exemple de l’architecte Jean Balladur, qui a notamment conçu La Grande-Motte. Vous savez, cette station balnéaire dans l’Hérault, longtemps considérée comme assez moche avec ses immeubles en pyramide, conçue en fonction des vents marins, de la tramontane et du mistral.

Sauf que ces bâtiments qu’on ne trouve pas forcément très sexy, permettent non seulement de freiner les vents, mais également de générer à l’arrière un microclimat favorable au développement des pins et des plantes.

Je me suis donc demandée pourquoi cette intégration du climat dans nos conceptions actuelles était encore très secondaire, alors même que son utilité n’est clairement plus à prouver. Réponse de Clément Gaillard.

Clément Gaillard

C’est assez rare qu’on me sollicite au bon moment pour penser ces sujets-là. Le vrai problème, c’est qu’aujourd’hui, dans la hiérarchie de la production de l’espace urbain ou de l’architecture, les concepteurs vont souvent dessiner quelque chose avec les contraintes qu’ils ont. Ce n’est qu’ensuite qu’ils vont demander aux bureaux d’études de voir si leurs calculs fonctionnent au niveau climat, et ce n’est qu’après qu’on pourra éventuellement faire deux trois modifications. Mais parfois, il n’accepte même pas les modifications parce que le projet et que cela pose trop de soucis. En clair, il faut faire appel à cette démarche bioclimatique le plus tôt possible, dès la phase diagnostic pour dessiner les premières étapes de plan masse. Ici, ça repose encore la question de la culture du climat. C’est pour ça que je fais ces posts sur LinkedIn, afin d’en parler le plus possible. Parce qu’en fait, si on est face à des commanditaires, face à des architectes, face à des particuliers qui sont sensibles à ces sujets, c’est tout de suite beaucoup plus intéressant parce qu’ils nous appellent plus tôt et nous mobilisent plus tôt, et le projet devient beaucoup plus stimulant en fait.

Voilà, c’est le vrai gros souci aujourd’hui. Mais c’est aussi une question de partage d’honoraires, une question économique. Parce que payer des gens pour réfléchir, ça coûte de l’argent. Et parfois, c’est presque tragique ! Il y a par exemple des dizaines d’hectares de bâtiments qui ont été dessinés sans aucun simulation et qui sont mal orientés. Et le seul retour que l’on a, c’est : « trop tard, les lots sont partis, ça sera construit comme ça ».

Pourtant, on a une large gamme d’outils à disposition. Pour commencer, tu as tout ce qui est retour d’expérience du type « telle technique, on sait qu’elle fonctionne à partir de telle hauteur ». Donc on a des trucs un peu qualitatifs. Seul point négatif : les bureaux d’études n’aiment pas trop communiquer et c’est un problème. Souvent, ils font des études qui finissent dans des placards alors que c’est de l’argent public qui a été utilisé pour les faire. Bref. Tout ça pour dire qu’il faut se renseigner. De mon côté, me sers beaucoup de bouquins un peu plus anciens parce qu’ils sont une mine d’informations sur ce sujet. Il y a donc une partie retour d’expérience, un peu au doigt mouillé si on veut, et une partie plus quantitative avec des simulations de cumuls d’ensoleillement, de conditions du vent…

On va par exemple construire une maquette 3D, envoyer du soleil et voir comment ça ensoleille telle ou telle partie, puis regarder ensuite si ces parties se refroidissent rapidement. On peut également faire des simulations plus complexes de confort thermique par exemple, en effectuant des calculs thermiques pour voir comment la chaleur est retransmise à un piéton, puis envoyer du vent pour voir comment se passe la mécanique des fluides. Après, ça devient très compliqué, mais les ordinateurs font ça très bien pour nous. Je ne suis pas le plus qualifié sur les parties simulation. Je fais des simulations assez simples, mais on a ces outils là à disposition. Le vrai problème pour moi, c’est qu’on manque justement de petites règles du pouce, de petites règles un peu pratiques pour justement dire à un architecte en phase de conception on n’a pas le temps de faire toutes ces maquettes, ces simulations. Et c’est ça vraiment ce qui manque, parce que c’est ça qui est utile pour un concepteur. Il n’a pas le temps de faire une esquisse, d’envoyer ça à des bureaux d’études, de faire un calcul car ça va prendre trop de temps par rapport à leurs propres contraintes de temps.

Le problème aujourd’hui, c’est que la question climatique revient beaucoup. Tu as des particuliers qui commencent à craindre la chaleur, qui ne veulent pas climatiser, qui se plaignent de payer trop de charges de chauffage. En fait, ces questions financières reviennent finalement. Et puis aujourd’hui, le gros enjeu c’est clairement le rafraîchissement des villes, le phénomène d’îlots de chaleur. La canicule de 2003 a marqué les esprits. Par conséquence, il y a toute une aujourd’hui une sensibilité à ces questions, notamment sur les oasis de fraicheur. On essaie de rafraîchir les cours d’école des enfants. Cette année, la rentrée de septembre a été assez chaude et a aussi marqué les esprits parce que pas mal d’enfants étaient très déconcentrés. Il y a eu des malaises dans les classes, et ce dans plusieurs régions. Donc ça a aussi posé la question de rafraichissement des collèges, des lycées et des écoles. La prise de conscience se fait au fur et à mesure. Mais le vrai souci, c’est que les problèmes et les facteurs sont nombreux. En urbanisme – par exemple – la question financière va être primordiale. On veut que l’opération soit rentable. Il y a aussi la question patrimoniale. Et pour cause : aujourd’hui, pour des raisons patrimoniales, on va climatiser des bâtiments parce qu’on estime qu’ils n’avaient pas de volets à une époque, etc. Il y a également les contraintes politiques en urbanisme. Il faut qu’une maîtrise d’ouvrage publique trouve son intérêt à traiter de ces questions. C’est pour cela que ls bureaux d’études vont parler de qualité de vie, de rafraichissement et de qualité des espaces.

Charlotte Simoni

Dans son approche, Clément Gaillard invite également à s’inspirer du passé pour ouvrir nos imaginaires et repenser nos solutions architecturales. Objectif : revenir à des questions pragmatiques et repenser nos modes de construction actuels de plus en plus décontextualiser. Un point qu’il me développe ici.

Clément Gaillard

Quand je parle du passé, j’espère ne pas donner une vision trop idéalisée de ce qu’est le passé. C’est simplement de dire qu’il faut réouvrir nos imaginaires sur ces sujets. Et le passé, c’est une bonne manière de le faire parce qu’on a un type de raisonnement dans la conception qui est par solutions. Quand on va voir l’architecture du passé, on a beaucoup plus d’inventions qui étaient faites, de choses qui étaient testées parce que c’était fait à plus petite échelle par des particuliers, parce que c’était aussi fait de manière beaucoup plus pragmatique. On n’avait pas toutes les réglementations qu’on a aujourd’hui. Aujourd’hui, la réglementation fait 1500 pages et je ne parle que de la réglementation environnementale, ce n’est même pas le code de l’urbanisme qui en fait encore 1000. Donc le but n’est pas d’idéaliser le passé. Il y a plein de bâtiments du passé qui étaient mal conçus. On va prendre l’exemple du château de Versailles ou de n’importe quelle demeure un peu bourgeoise. En fait, quand tu veux commencer à construire pour des questions d’image ou de prestige, parce que c’est ce que veut l’architecture bourgeoise, l’architecture monumentale un peu spectaculaire, tu vas commencer à dessiner des grandes fenêtres pour montrer que tu as de l’argent, que tu peux acheter du verre, qui coûte cher. Et donc tu commences à entrer dans des raisonnements où le climat n’est plus le centre de l’attention et donc ça crée des bâtiments qui sont extrêmement difficiles à vivre.

Et c’était le cas des grands châteaux, qui étaient de véritables passoires énergétiques, dont on n’a même pas idée ! Nos passoires énergétiques actuelles, ce n’est rien, ce n’est vraiment rien. Donc voilà, le passé, c’est revenir à ces questions un peu pragmatiques. Mais il y a aussi des choses qui ne sont pas pragmatiques du tout en conception bioclimatique. Par exemple la notion de comportement thermique d’un matériau, on peut intuitivement le comprendre par le toucher, mais il y a des choses qui nous échappent un peu. Donc, pour en revenir au passé, l’idée c’est effectivement de critiquer un peu la modernité. C’est à dire que quand on commence à standardiser les modes de construction, notamment le béton armé, on invente un style de construction qui va être décontextualisé et une esthétique un peu générique. C’est à dire que lorsqu’on regarde certains bâtiments, on n’est pas capable de dire si on est à Bordeaux, dans la banlieue de Madrid ou ailleurs.

Historiquement, il y a eu une grosse perte de savoir-faire après la seconde guerre mondiale parce que pas mal de charpentiers sont morts pendant la guerre. Raison pour laquelle on a industrialisé le bâti, tout simplement parce que béton armé demande moins de savoir-faire, une main d’œuvre moins qualifiée et de mise en œuvre que d’autres techniques de construction. Évidemment, il y a aussi l’évolution des normes de confort à prendre en compte. Avoir de l’eau courante à tous les étages, c’est normal, mais ça n’a pas été toujours le cas. Autre point : il est aussi important de rappeler que dans les maisons traditionnelles vernaculaires du XIXᵉ siècle, il fallait supporter l’hiver. Sauf que quand vous regardez les maisons en Ardèche, il faut savoir que la famille habitait dans deux pièces en hiver, collés les uns contre les autres. Ça pose des questions de promiscuité et d’intimité qui n’ont plus rien à voir avec ce qu’on a aujourd’hui.

Donc ce sont aussi des modes de vie, des attentes de confort, des modes de production et la richesse qui ont complètement évolués. On est beaucoup plus riche que pouvaient l’être nos grands-parents, en tout cas nos ancêtres. Et ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Enfin voilà, il y a pleins de facteurs à considérer, mais l’idée n’est pas de jeter le bébé avec l’eau du bain. C’est plutôt de dire, aujourd’hui on a suffisamment d’intelligence pour allier le meilleur des deux mondes. Et c’est ça qu’on doit réussir à porter.

Charlotte Simoni

Au même titre qu’il est primordial de s’inspirer de notre passé pour repenser notre vision de l’urbanisme, il est également nécessaire de revoir nos modes de vie. Objectif : redévelopper une forme de culture du climat et être plus en phase avec les milieux locaux et leurs singularités. En clair, arrêter de penser que la modernité et l’industrialisation nous permettent de vivre partout avec les mêmes modes de vie, standardisés, très gourmands en énergie fossile. Clément Gaillard m’en dit plus.

Clément Gaillard

En architecture bourgeoise, les pièces n’ont pas de fonction. Elles servent à la même chose toute l’année. Alors que ce n’est pas le cas dans l’habitat traditionnel ou vernaculaire. Il y avait par exemple une chambre d’été et une chambre d’hiver qui étaient dissociées et qui n’étaient exposées de la même manière. La chambre d’hiver était plutôt orientée au sud ou à l’ouest, à proximité de la cuisine pour récupérer la chaleur dégagée par la cuisine. La chambre d’été était plutôt au nord afin d’être ventiler et protéger de la chaleur. Toutes ces choses sont intéressantes et posent des questions. En rénovation aujourd’hui, on pourrait se dire « dans un appartement suffisamment grand, on va essayer de faire une rénovation un peu plus maline pour exploiter le climat ». En Espagne, il y a des bâtiments qui ont été rénovés comme ça, avec des espaces d’été et d’hiver, où l’on raisonne plus sur la fonctionnalité des pièces, sur le côté mode de vie. Problème : le mode de vie d’un habitant, c’est la grande inconnue et ça peut poser des problèmes. Quand les ingénieurs vont concevoir une maquette d’un bâtiment par exemple, ils vont faire des simulations thermiques afin d’évaluer la consommation énergétique. Mais entre un habitant qui ferme ses volets à tel moment, qui éteins sa lumière à telle heure, un autre qui veut vivre à 20 degrés en été et à 28 en hiver, les niveaux de consommations vont considérablement varier. C’est la grande inconnue en fait. Parce que si tu fais une opération pour 200 logements, tu dois simuler ce truc là et donc tu simules pour un pour un habitant moyen. Mais entre un écolo convaincu qui fera attention à tout et puis une autre à quelqu’un qui n’en aura rien à faire, tu auras des niveaux de consommation différents. Et ça pose la question de ce qu’on appelle aujourd’hui l’assistance à maîtrise d’usage. L’idée c’est de dire : comment on accompagne les habitants pour essayer de faire en sorte qu’ils habitent le mieux possible leur bâtiments en cohérence avec ce qui avait été imaginé ?

Charlotte Simoni

Vous l’aurez donc compris, le climat bouleverse l’habitabilité de nombreux territoires sous les effets cumulés de la chaleur, de l’humidité, de l’air ou encore de la sécheresse. Un constat qui m’a poussé à me demander si l’aspect sanitaire était également étudié dans la conception bioclimatique. Je rappelle quand même que près de 33 000 décès ont été liés à la chaleur entre 2014 et 2022. De quoi se poser légitimement la question de l’intégration de l’aspect santé dans le bâti.

Clément Gaillard

Il faut d’abord gérer le confort. Et si jamais on tombe dans l’inconfort, on va atteindre ces enjeux sanitaires. Les enjeux sanitaires de la chaleur sont hyper importants par exemple. Le gros enjeu des périodes de canicule, c’est le sommeil des personnes. Avoir chaud en journée, c’est problématique, mais on peut s’abriter. Par contre, si on n’arrive pas à se reposer, ça va être problématique au bout de plusieurs jours. On l’a bien vu sur la canicule de 2003. Il a fait très chaud pendant plusieurs nuits, mais le pic de mortalité n’a été atteint qu’à la fin de la canicule parce que les personnes étaient de plus en plus fatiguées du cumul des nuits où elles n’arrivaient pas à dormir.

Ensuite, ça interroge d’autres choses. Par exemple, pendant une période de fortes chaleurs, il faut essayer de ventiler la nuit quand c’est possible. S’il ne fait pas trop chaud dehors, on peut ouvrir ses fenêtres, mais encore faut-il qu’il n’y ait pas trop de bruit dans la rue parce que sinon on n’arrivera pas à dormir pour des questions acoustiques. Et on sait que la pollution acoustique est la première source de pollution et de nuisances identifiée. Elle a des impacts économiques qui se chiffrent à des milliards d’euros. Mais pour en revenir aux enjeux sanitaires, c’est certain qu’on essaie de les de les porter. Malheureusement, il y a une rupture aujourd’hui. Je trouve que les épidémiologistes ou les spécialistes des questions sanitaires, de chaleur notamment, ne sont pas assez vus. Exemple assez parlant : je connais une personne qui est très haut placée sur la santé publique en France et qui travaille sur les enjeux de l’adaptation à la chaleur. Eh bien cette personne me disait ne pas connaître les réglementations ou les outils qu’on utilise en conception des bâtiments pour gérer cette question de chaleur.

Charlotte Simoni

Pour finir cette interview, j’ai questionné Clément Gaillard sur la prise en compte de cette approche climatique par les élus locaux. Sont-ils sensibilisés à ces questions ? Comprennent-ils l’importance d’adapter nos villes au climat et ont-ils commencé à effectuer ce type de démarche ?

Pour rappel, depuis janvier 2003, le gouvernement a mis en place un programme de sensibilisation à destination des 36 000 maires de France via des formations aux enjeux climatiques et le lancement d’un site internet destiné à répertorier les bonnes pratiques.

Clément Gaillard

Ça dépend un peu je trouve. Certains s’y intéressent, mais je pense qu’ils n’arrivent pas à avoir une vision globale. Ils vont raisonner par solutions en plantant quelques arbres par exemple, mais pas globalement. C’est un peu ce que j’avais essayé de faire à Arles quand j’avais travaillé là-bas avec mes collègues, c’était de dire : si on veut essayer d’améliorer le confort thermique de cette ville, on doit aussi mobiliser tout le patrimoine des protections solaires, tout ce qui pouvait exister. Traditionnellement et d’une certaine manière, on va valoriser le patrimoine de cette ville tout en jouant sur le rafraîchissement et le confort thermique des touristes ou des habitants arlésiens. Et c’est ça qu’il faut arriver à défendre. Il faut tenter de défendre le fait que ces questions de rafraichissement d’îlots de chaleur contribuent à créer de la qualité de vie, à défendre une certaine qualité des espaces publics qu’on a pu perdre. Et cette question est plus ou moins bien compris je trouve.

Ces questions d’îlots de chaleur sont, à mon sens, beaucoup plus étudiées à Rennes, en Bretagne ou même à Paris que dans le sud de la France. Il y a beaucoup moins de travaux sur le sujet à Marseille, à Montpellier ou à Nice par exemple, ce qui est étrange en fait. Je pense, mais c’est mon hypothèse, qu’il y a un côté plus entre guillemets « la chaleur, c’est habituel dans le sud, donc les vagues de chaleur sont subies un peu plus violemment dans les villes plus au nord ». Après, il y a une exception, c’est Toulouse. Pourquoi ? Parce que cette ville a un service météo, ce qui fait qu’ils traitent plus des questions d’îlots de chaleur. Après sur la question de pourquoi ce n’est pas plus pris en compte par un agenda politique, tout simplement car y a pleins d’autres prioritaires comme les mobilités, la sécurité, le pouvoir d’achat… Enfin, tout un tas de trucs qui font que rafraîchir les villes, ce n’est pas forcément la priorité.

Il faudrait aussi injecter plus de moyens humains et financiers dans les services des espaces verts. Parce que souvent lorsqu’on fait planter 200 arbres supplémentaires, les effectifs des espaces verts restent constants, alors que ça représente une charge de travail supplémentaire pour un salaire qui n’augmente pas.