Photo de Grégoire Dupont

Épisode 15

Assurer la sinistralité climatique

Grégoire Dupont, Directeur Général d’Agéa

Aujourd’hui, je reçois Grégoire Dupont, directeur général d’AGEA, la fédération des agents généraux, pour discuter de l’indemnisation des catastrophes naturelles.

Objectif : comprendre comment le secteur de l’assurance fait face au défi climatique.

Ensemble, nous avons reposé les bases du contrat d’assurance habitation, mais nous avons surtout parlé du régime spécifique des catastrophes naturelles. Pour rappel : les assureurs français ont déboursé 6,5 milliards d’euros pour indemniser les victimes des tempêtes, inondations ou encore les propriétaires de maisons fissurées par la sécheresse en 2023.

De quoi s’interroger sur la manière dont les compagnies d’assurance anticipent et préviennent ces catastrophes. Le cas enfin de se pencher sur les conséquences d’une telle prise en charge pour les assurés.

Alors, comment fonctionne le régime Cat Nat ? Que couvre t-il ? Les biens situés sur des zones sensibles risquent-ils un jour de ne plus être assurables ? Est-ce déjà le cas aujourd’hui dans pour certains appartements ou maison et/ou dans certaines zones en France ?

Bref, un épisode passionnant que je vous propose de découvrir aujourd’hui !

Belle écoute !

DÉROULÉ DE L’ÉPISODE

  • 01 : 24 – Fonctionnement d’un contrat d’assurance habitation
  • 06 : 00 – Régime des Catastrophes Naturelles
  • 08 : 57 – Déclaration de l’état de Catastrophes Naturelles
  • 14 : 50 – États des sinistres climatiques en France
  • 17 : 15 – Augmentation des cotisations Cat Nat
  • 19 : 44 – Quels futurs pour les biens situés en zone à risque et à quel prix ?
  • 22 : 44 – Zones et/ou bâtiments inassurables ?
  • 28 : 38 – Problématique patrimoniale
  • 31 : 15 – Faillite des assureurs
  • 33 : 40 – Mesures de prévention

CHIFFRES CLÉS

6,5 milliards

C’est le coût des sinistres climatiques en France supproté pour les assureurs en 2023

40%

Pourcentage de baisse des réserves financières du régime Cat Nat entre 2015 et 2020

18,5 millions

C'est le nombre d'habitants exposés au risque d'inondations sur le territoire francais

SOLUTIONS

Pour les lecteurs :

Pour les particuliers

Pour les amateurs de jeux :

  • Le jeu en ligne « crue et eau », proposé par EPISEINE et qui vous permet de tester vos connaissances sur les gestes à adopter en cas d’inondations.
  • L’atelier « boite à risques », un fascicule de jeu qui vous permet de connaitre les bons réflexes à adopter en cas de fortes pluies.
  • Idem avec le jeu vidéo Mission Inondation, un outil innovant et ludique pour éviter les suraccidents et anticiper les situations inhabituelles en temps d’inondation.
  • Et enfin, le jeu Climat Tic Tac, édité par la société Bioviva, qui sensibilise aux enjeux et conséquences du réchauffement climatique. Objectif : ​protégez les villes des impacts du changement climatique et contrôlez les émissions de gaz à effet de serre dès à présent et jusqu’à la fin du siècle !

RESSOURCES

TRANSCRIPTION DE L'ÉPISODE

Charlotte Simoni

Risques de vol, d’incendie, de gel des canalisations ou encore d’inondation… Le contrat d’assurance habitation vous couvre des dommages liés à votre logement. Une couverture d’autant plus nécessaire au regard de la fréquence des sinistres, en augmentation de 5,8 % en 2023 et de la hausse des catastrophes naturelles. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet et d’aborder ce dernier point, je vous propose une courte introduction sur le fonctionnement des contrats d’assurance habitation.

Grégoire Dupont

Alors le contrat d’habitation, c’est lié à l’appartement ou la maison. Il y a un acronyme qui s’appelle Multirisque Habitation (MRH), qui est beaucoup utilisé dans l’assurance et qui couvre donc l’assurance du bien. Si on lit son contrat, l’assurance couvre par exemple le vol, les dégâts des eaux, un incendie, qui sont les éléments les plus importants. On reparlera après des éléments de catastrophes naturelles. C’est donc un contrat privé, c’est à dire qu’il n’y a pas de garantie vol pour tous les Français identiques. Donc si on prend l’exemple du vol, on doit déclarer à un moment la valeur des biens qu’on a (des montres ou des bijoux). Même un peu de valeur, il faut le déclarer. Il y a aussi une déclaration de valeur à effectuer sur la valeur des biens mobiliers (les chaises, la table, le lit, la bibliothèque…). Et donc, à la déclaration de la création du contrat, l’agent d’assurance ou le commercial demande quelle est la valeur du bien. On la donne au début et ensuite il incombe à l’assuré – éventuellement – de l’actualiser. Par exemple : quand on hérite d’une énorme montre ou d’une très belle bague de ses grands-parents avec une valeur spécifique.

Alors un contrat d’assurance, comment ça marche ? Ce sont des maths. Les compagnies d’assurance prennent l’ensemble des sinistres sur une année pour un type de garantie. Si on prend le vol par exemple – on parlera après de catastrophe naturelle je pense – et bien les compagnies d’assurance regarde sur leur portefeuille de l’année dernière le nombre de sinistres et surtout la valeur qu’elles ont remboursée parce qu’il y a des limites de garanties comme on l’évoque. On a aussi des franchises. La franchise c’est un vol pris en charge à hauteur de 3 000 €. Mais je peux avoir une franchise, donc que ne rembourse pas l’assuré. Donc si ça coûte 2 000 € de valeur de bien volé, si on a une franchise de 200 €, ça ne coûte que 1 800 € à la compagnie d’assurance et l’assuré n’a que 1 800 €. Donc c’est un calcul en N -1.

Et puis en face, il y a le montant des primes. Les assureurs projettent ça sur l’année suivante en disant « on estime que ça, c’est exceptionnel, je retire », « on estime que l’inflation va conduire à augmenter le coût des sinistres »…En clair, ils ajustent leurs coûts de sinistres pour l’année prochaine, leurs coûts de gestion, le personnel, l’informatique, le marketing, la communication… L’obligation c’est d’avoir aussi des coussins de sécurité, soit de l’argent mis de côté pour des gros événements. Par exemple : des émeutes urbaines très importantes, une éruption volcanique. Dans ces cas-là, ils font des calculs sur le passé et l’avenir. Et fort de tout ça, ils calculent un prix, un besoin de ressources qu’ils découpent ensuite sur leurs assurés. C’est donc la prime d’assurance, la cotisation qu’on reçoit tous les ans. Donc vraiment cet aspect mathématique plus une dose de taxes puisque les assureurs jouent aussi un rôle de collecteur d’impôts. Comme la TVA, c’est quand vous achetez un paquet de pâtes, vous payez le supermarché Carrefour, mais vous avez aussi la TVA que Carrefour collecte pour l’État.

Charlotte Simoni

Si les sinistres dits classiques comme le vol ou le dégât des eaux sont couverts depuis longtemps, tel n’a pas toujours été le cas pour les dommages causés par l’intensité des catastrophes naturelles. Il a ainsi fallu attendre 1982 pour que le régime des catastrophes naturelles, plus connu sous le terme de « CatNat » garantisse aux assurés une indemnisation contre les aléas climatiques. Mais comment fonctionne concrètement ce régime ? Est-il inclus de facto dans les contrats d’assurance habitation ou est-ce une surprime ? Explications avec Grégoire Dupont.

Grégoire Dupont

Premièrement, c’est qu’on a défini une série de sinistres ou de types de péril qui sont pris en charge par le régime de catastrophe naturelle. Ça veut dire que l’État vient au soutien des fonds privés de la compagnie d’assurance. Voilà donc une liste de péril pour qu’on l’ait en tête. On prend l’inondation, par exemple. Voilà ce qui a été décidé, c’est de dire que oui, les contrats de droit, d’assurance, de multirisque habitation qu’on a évoqué tout à l’heure sont libres pour la compagnie.

Mais en 1982, on a imposé des garanties d’État obligatoires. Ce sont des garanties dites de catastrophes naturelles qui sont inclues obligatoirement dans tous les contrats multirisque habitation et les multirisque professionnelle. Dans ce cas, c’est donc l’État qui décide. Contrairement à ce que j’ai dit tout à l’heure, le niveau de franchise est défini par l’État, tout comme le montant garanti et les types de de prise en charge financière. Il y a donc dans le contrat d’assurance des articles qui sont finalement des morceaux de droit public qui s’appliquent obligatoirement.

Le principe, c’est que ce fonctionnement repose sur partenariat public/privé. C’est à dire qu’il y a de l’argent privé dans nos cotisations d’assurance, et un dispositif de catastrophes naturelles, qui est géré par un organisme public qui s’appelle la CCR. Peu importe qui va prendre une partie de la prime. C’est ce qu’on appelle la surprime pour indemniser quand il y a des catastrophes naturelles.

Une première analyse à avoir en tête quand c’est une catastrophe naturelle déclarée, quand par exemple, l’inondation est reconnue comme telle, la moitié du coût du sinistre est pris en charge par cette structure étatique qui s’appelle la CCR. Donc pour 10 000 € de coûts de sinistres inondations, quand c’est reconnu comme catastrophe naturelle, il y a grosso modo 5 000 € pris en charge par l’assureur privé et 5000 euros par la CCR. C’est transparent pour le français ou le sinistré puisque tout l’argent transite par la compagnie d’assurance. Et là c’est 10 000 €. Mais il y a deux flux financiers.

Charlotte Simoni

Alors justement, qui déclare l’état de catastrophe naturelle ? Y a-t-il déjà eu par le passé des situations où l’état de catastrophe naturelle n’a pas été déclaré ? Et dans ce cas, quelles sont les conséquences pour les particuliers ?

Grégoire Dupont

On entend souvent dans les déclarations dès qu’on a une inondation, dès qu’on a une grosse tempête avec pour conséquence des submersions marines, les pouvoirs publics qui prennent la parole en disant « je vais déclarer l’état de catastrophe naturelle ». Donc c’est un arrêté de catastrophe naturelle qui est pris par l’État qui dit « oui sur tel territoire, c’est une catastrophe naturelle ». Donc là, ce qui est très important, c’est qu’ils visent des communes sur des territoires. On reconnaît qu’il y a eu – par exemple – une inondation. Et donc c’est vraiment l’État qui décide sur la base des remontées des préfectures – qui sont elles-mêmes alimentées par les maires – qu’il y a une inondation. Dans l’exemple que je prends, on a donc cet arrêté qui cible un péril inondation dans telle ou telle partie du département du Nord par exemple. Ça, c’est la première étape.

Ensuite, il appartient à l’assuré, au Français qui a malheureusement vu sa maison inondée, de déposer un dossier auprès de son assureur, en disant « j’ai eu un sinistre ». Pour moi, ça se raccroche à la déclaration de catastrophe naturelle, c’est l’inondation sur telle période, dans telle commune et je suis le long de telle rivière. Ensuite, il y a un expert qui vient constater qu’il y a un lien entre la catastrophe naturelle, l’inondation, la rivière qui sort de son lit, et l’inondation de la cave ou du rez-de-chaussée de la personne. Ensuite, ça déclenche une évaluation du sinistre, puis une indemnisation par l’assureur. Donc on a bien – encore une fois – du public/privé. C’est l’État qui décide de déclarer la catastrophe naturelle sur telle période, sur tel périmètre géographique, et c’est l’assureur qui instruit le dossier, le rattache à la catastrophe naturelle et indemnise ensuite la personne. Pour la compagnie, on a la moitié de l’indemnisation qui arrive par la CCR, la structure d’État.

J’ai pris volontairement le cas de l’inondation où il n’y a pas de débat. Voilà peut-être une petite parenthèse, si vous permettez, sur les garanties des catastrophes naturelles. Les inondations, c’est le plus simple, ça se matérialise facilement : une rivière qui déborde, un fleuve qui sort de son lit… Ensuite, il y a on a ce qu’on appelle la submersion marine. C’est une grosse tempête, ce sont les vagues. Moins connu, mais on voit l’aspect soudain : ce sont les avalanches, les séismes, des éruptions volcaniques, les cyclones en outre-mer.

Et puis il y en a un autre qu’on appelle le retrait gonflement d’argile. Ce phénomène est plus compliqué. Il s’agit de la sécheresse sur un territoire. En clair : vous possédez une maison qui a ses fondations sur un sol argileux. Quand il pleut beaucoup, l’argile se répand dans toute la cavité. Il n’y a pas de soucis. Mais quand il y a un épisode de sécheresse sévère, on a une rétractation de l’argile et donc forcément les fondations bougent. Et là, on arrive au cas très compliqué pour les catastrophes naturelles de sinistres liées à des fissures. On a des débats ou des discussions parce qu’il faut déjà constater avec les maires ces situations de retrait gonflement d’argile. Il faut donc faire des études de sols. Les sols calcaires, c’est non. Les sols argileux, c’est oui. Donc déjà c’est plus compliqué pour l’état de dire « oui, c’est une catastrophe naturelle ». Il y a donc des analyses très fines qui sont faites par des ingénieurs sur la nature du sol. Il faut définir des périmètres géographiques, des communes. Donc là ce n’est pas forcément automatique parce que le point d’entrée, ce sont des fissures classiques sur une maison. Il peut donc y avoir une déception des sinistrés avec des fissures qui sont liées à un problème de structure de la maison, mais pas nécessairement à un problème de retrait gonflement d’argile. Ça peut être le cas pour une maison neuve ou ancienne qui a été mal construite et où les matériaux se dégradent. Donc là, il y a beaucoup de discussions. D’un côté, on a un caractère plutôt automatique et facile sur l’inondation, la submersion marine, l’avalanche ou le cyclone et de l’autre, un retrait-gonflement des argiles plus compliqué. Donc beaucoup de discussions, dans la phase publique de reconnaissance et dans celle avec les experts des compagnies d’assurance. Il y a toujours des déceptions quand on va dire à un assuré « c’est votre maison qui est trop vieille, qui a été mal conçue avec un toit qui penche, et ce n’est donc pas la catastrophe naturelle qui a conduit à vos fissures ».

Charlotte Simoni

Autre question je me suis demandée quelles étaient les sinistralité climatiques les plus importantes depuis la création du régime Cat Nat et celles à surveiller dans les années à venir ? À ma plus grande surprise, et alors que je pensais qu’il s’agissait des inondations, ce sont donc les sols argileux qui sont au centre de l’attention des compagnies d’assurance.

Grégoire Dupont

Alors dans le rétroviseur de 1982 à 2023, on a quelques chiffres. La partie la plus importante historiquement sur ces temps longs, c’étaient les inondations. C’était vraiment la partie la plus importante, la plus récurrente avec 50 % pour les inondations et 40 % pour la sécheresse. Mais sur des périodes plus courtes, on a une bascule. Sur les dix dernières années, on a 54 % pour la sécheresse, donc pour le retrait gonflement d’argile, et 31 % pour les inondations. Et on projette plutôt un accroissement des sinistres liés justement à la sécheresse et au retrait gonflement d’argiles.

On ne le voit rien qu’en observant la météo ou le temps. Ces dernières années en France, on a des épisodes de très forte sécheresse et des épisodes de très fortes pluies. Et donc ce sinistre-là est amené à se développer d’autant plus. Je donne un autre chiffre les sols argileux – grosso modo – potentiellement, ce serait 10 millions de maisons en France.

L’autre point, c’est la submersion marine. On a en tête quelques grandes tempêtes. Voilà, ça, ça peut quand même augmenter. Mais par ailleurs, financièrement, ce serait moins lourd parce que c’est plus localisé, mais ça crée beaucoup de problèmes.

Charlotte Simoni

Autre point : celui du financement de ce régime. Et pour cause, avec l’augmentation de la sinistralité climatique, le gouvernement a augmenté depuis le 1ᵉʳ janvier dernier la cotisation catastrophe naturelle à 20 % contre 12 % auparavant. Une hausse non négligeable pour les particuliers qui doivent également faire face, en parallèle à l’augmentation des primes classiques de leur contrat d’assurance habitation. J’ai donc demandé à Grégoire Dupont ce que cela représentait concrètement sur leurs factures.

Grégoire Dupont

Comme on est sur du public-privé, pour la partie publique, ce n’est pas de l’argent magique. On la paye tous nous-même dans la surprime. Donc regardez tout à la fin de votre appel de primes multirisque habitation avec un certain nombre d’autres taxes. Il y a cette surprime. Donc on paye tous dans tous nos contrats d’assurance une surprime pour alimenter cette structure publique qui s’appelle la CCR. Surprime qui est passée, comme on l’a dit, de 12 % à 20 %. Donc, la première conséquence, c’est financer, asseoir ce régime qui continue de faire son office pour payer les sinistres.

Je fais une parenthèse : le but de cette structure qui s’appelle la CCR, c’est d’indemniser les catastrophes naturelles sans faire appel à l’État. Sans être technique, il y a une garantie de l’État. C’est à dire qu’il y a aussi – si jamais cet argent qu’on collecte tous les ans ne suffit pas – une indemnisation directe de l’État. Mais en 40 ans, on a dû faire appel une fois à l’État, c’est tout. Donc ça c’est le premier, enfin le problème financier avec le premier embranchement. Garantir que le système très particulier français de mutualisation via le public fonctionne.

Et puis de l’autre côté, c’est la partie privée. La partie de la prime qui va à la compagnie d’assurance augmente aussi fortement, mécaniquement. Pour illustrer cette année sur la sinistralité qui est pris en charge par le secteur privé : on a entre 10 à 13 % d’augmentation des primes cette année. Alors si on prend une prime moyenne, on l’estime à 400 €, plutôt pour une maison individuelle. Et ben ça nous fait 40 €, plus la surprime que j’ai évoqué. Donc on est plutôt à 50 €.

Charlotte Simoni

Avec cette flambée des prix, je me suis demandée quels étaient les retours des particuliers sur ce sujet auprès des agents généraux. Parce que 50 € supplémentaires, ce n’est pas rien. Tous les portefeuilles ne peuvent pas le supporter. Alors, est ce que les particuliers sont inquiets de cette hausse des prix ? Est-ce que cette augmentation est la première d’une longue série ? Et surtout, quid de ceux qui ont des biens particulièrement vulnérables à certains aléas climatiques ? Est-ce que cela signifie pour eux que le futur leur réserve des hausses de cotisation encore plus importante ?

Grégoire Dupont

Un autre élément qui touche beaucoup les citoyens français, c’est l’assurance santé, que mes agents d’assurance distribuent aussi. Donc, on a un mécanisme d’augmentation des primes d’assurance dans tous les secteurs. On va revenir aux 400 euros. Donc, oui, on le soutient parce que la sinistralité, les besoins, si on prend la santé, on l’a bien en tête. Les coûts de santé, les coûts de la prise en charge de la santé augmentent. Donc on augmente aussi les primes. C’est un schéma global d’augmentation des primes qui s’explique.

Mais sur notre sujet, on a quand même une prise de conscience des Français. Alors je ne sais pas si c’est la poule ou l’œuf via l’attention médiatique sur les catastrophes naturelles et malheureusement une dispersion territoriale extrêmement forte. Donc il y a quand même une conscientisation des Français que les primes augmentent. Ils ne sont pas enthousiastes par rapport à ça, mais ils l’entendent. Ça s’explique par les inondations dans le Nord, à Mayotte… Si je prends l’exemple de la multirisque habitation à 400 euros par an, ne perdons pas de vue que c’est pour garantir une maison qui vaut environ 250 000/300 000 euros. Il faut avoir ça en tête aussi. C’est quand même la garantie. Si la maison brûle totalement, on vous reconstruit la maison. Donc oui, ça commence à coincer fort sur les gens qui ont des revenus plus faibles, mais il y a quand même une conscience par l’attention médiatique et par le fait de la survenance de ces événements climatiques.

Mais oui, ça commence à faire beaucoup, surtout que toutes les primes d’assurance augmentent de manière significative. On est parti de bas sur ces montants par rapport à d’autres pays ou d’autres organisations où le coût de la multirisque habitation est plus importante. Je donne un exemple : la surprime, un certain nombre de personnes disent « il faut que ce soit automatique tous les ans, on l’augmente ». Nous on dit « prudence sur ces mécanismes automatiques parce qu’à la fin, ce sont les Français qui payent ». Donc ça commence à être tendu – pour être un petit peu trivial – pour les Français qui sont en situation le plus compliqué. Assurance auto même chose, assurance santé, je l’ai dit…

Charlotte Simoni

Autre interrogation : je me suis demandée s’il existait actuellement en France des zones départements ou des types de biens qui sont devenus inassurables. Et pour cause : selon les résultats d’un stress test climatique réalisé par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), 7 maisons sur 100 ne seront plus assurables en 2050. Enfin, ne seraient plus assurables. Et d’ailleurs, dans le cas où un assureur ne voudrait plus assurer le bien d’un particulier pour des raisons climatiques notamment, peut-il résilier le contrat du jour au lendemain ?

Grégoire Dupont

En France, on a fait un grand choix politique qui est d’avoir des coussins de sécurité publique ou privée très importants. Rappelons que l’assurance, en dépit de tout ce qu’on peut penser, c’est une activité privée. Donc juridiquement, un assureur accepte ou refuse le risque. Un assureur peut résilier un contrat en cours. Je prends l’exemple de l’assurance auto : on peut résilier avec des délais, avec une information… Sur cette logique, dans les cas d’assurance obligatoire, l’assureur peut refuser d’assurer. Heureusement, il y a un mécanisme de rappel qui existe en France. Si on prend l’assurance auto qui est obligatoire, il y a un autre organisme public qui s’appelle le BCT, à qui les Français peuvent demander une sorte de droit à l’assurance s’ils ont eu de nombreux refus. Et donc là, il y a un mécanisme qui dit « oui, très bien, tel assureur doit vous assurer, cependant vous devez accepter que la prime soit très significative ».

En multirisque habitation, ce n’est pas obligatoire. L’obligation pèse sur les locataires pour garantir le patrimoine du propriétaire. Vous êtes propriétaire de votre appartement ou de votre maison ? C’est pour vous protéger ? Donc ce mécanisme ne fonctionne pas bien. Donc on a ça en tête. Mais comme on est en France, on a une aversion au risque. De fait, tout le monde pense que c’est obligatoire et c’est bien de s’assurer, etc. Premier élément de réponse. Oui, on a une capacité.

Alors, est ce qu’il y a des zones exclues aujourd’hui ? C’est difficile de l’affirmer de manière péremptoire parce que les compagnies se cachent un peu par rapport à ça. Il est vrai qu’un certain nombre de zones, aujourd’hui très réduites comme les zones des inondations de 2023 dans le Nord, où on peut avoir des maisons qui deviennent difficilement assurables. Je prends un autre exemple : les submersions marine. Toutes les villes, on va dire récentes à l’échelle de l’urbanisation, créés au siècle dernier, comme les zones littorales méditerranéennes, autour du Grau du Roi par exemple, étaient historiquement et géologiquement des marais. Donc des zones sous le niveau de la mer de quelques mètres. Autre exemple : les Sables d’Olonne ou certains quartiers de La Rochelle qui ont été plutôt sur des zones de marais, etc. Toutes ces zones sont structurellement tendues en termes d’assurabilité.

Mais encore une fois, les compagnies ne vont pas affirmer « je ne prends plus telles ou telles zones ». C’est pour ça que le sujet est compliqué et c’est bien de prendre du temps. Elles peuvent aussi appliquer des prix beaucoup plus importants. Donc c’est normal. Je reprends l’exemple de l’assurance auto. Vous êtes jeune conducteur, vous avez déjà eu trois accidents. Ce n’est pas incongru de vous faire payer plus cher. Là, vous êtes dans une zone difficile où il y a déjà eu un certain nombre de sinistres. Ce n’est pas complètement incongru de payer plus cher. Donc nous en tant que représentants des distributeurs, des agents d’assurance, on est très en pointe là-dessus. On a ainsi demandé aux pouvoirs publics qui ont mis en place un observatoire de la présence d’une offre assurantielle dans des zones spécifiques. Donc on a des indices de retrait partiel, pointu, mais il faut que ce soit assis par les pouvoirs publics.

Vous parliez des zones, il faut qu’on parle de l’outre-mer, qui sont les territoires français qu’on a tendance à oublier. Là, ça devient vraiment très compliqué parce que les phénomènes de cyclones, notamment aux Antilles, ont une fréquence assez forte. Et donc là, on a moins d’assureur. Il y a aussi une fragilité du bâti qui est forcément à proximité du rivage, là où il y a des villes, des habitats. Donc là, on a une situation encore plus tendue et difficile sur les territoires ultramarins. Et on est encore plus près du moment où il n’y aura peut-être plus d’assureurs sur certaines zones.

Charlotte Simoni

Dans la continuité de ces questions relatives aux zones inassurables, j’ai demandé à Grégoire Dupont si les assureurs pouvaient stopper la couverture liée aux incidents climatiques d’un bien tout en continuant de l’assurer pour les autres dommages. Et dans ce cas, quelles sont les conséquences pour le propriétaire, notamment lors d’une revente ? Y a-t-il par exemple des mentions obligatoires sur un contrat de vente indiquant que le bien n’est plus assurable pour des raisons climatiques ?

En clair, qu’en est-il de la question patrimoniale ?

Grégoire Dupont

Les garanties CatNat sont d’ordre public. Vous n’avez pas le droit en tant qu’assureur de vendre un contrat d’assurance en ne faisant que le classique vol, dégât des eaux…

Ensuite, votre deuxième question, c’est la valeur patrimoniale et c’est tout l’objet de l’assurance, c’est garantir le patrimoine d’une personne. Alors clairement, pour des maisons en bord de littoral par exemple ou exposées sur d’anciens marais où on sait que via des modélisations, on aura une élévation de l’eau par exemple, c’est compliqué. La valeur patrimoniale du bien va avoir tendance à baisser. Mais ce n’est pas uniquement l’assurance. On a aussi d’autres éléments qui sont extérieurs l’assurance.

Il y a une obligation qui pèse sur des communes du littoral de mettre en place des plans de prévention, d’isoler. Et à partir du moment où une commune, un maire établit des zones rouge, orange, verte pour caricaturer, c’est très compliqué pour lui parce qu’on va dire que vous avez votre petite maison qui est en zone rouge, immédiatement elle perd une valeur patrimoniale à la revente. Donc il y a l’assurance mais pas que. Vous parliez de la vente d’un bien. Ceux qui ont pu acheter leur habitation peuvent regarder à la fin du document, chez le notaire. Il y a des éléments perfectibles sur la vulnérabilité aux risques naturels, pas d’une extrême clarté, mais il y a des choses. Et nous, on milite aussi pour que ces choses soient plus objectives. Clairement, il y a donc un gros enjeu patrimonial et c’est l’un des sujets de difficulté pour les assureurs, mais aussi pour les pouvoirs publics et pour les Français.

Charlotte Simoni

Si je peux entendre que le gouvernement ait dû augmenter les primes liées au régime des catastrophes naturelles, je me questionne un peu plus sur celles liées au secteur privé. Je veux dire : a-t-on déjà entendu qu’un assureur était en faillite ? Pas vraiment. Alors pourquoi et comment s’expliquent ces hausses ? Grégoire Dupont me répond.

Grégoire Dupont

Encore une fois, des deux côtés, la structure publique – la fameuse CCR – a fait des rapports pour dire « si on continue comme ça, je n’aurais plus d’argent ». Donc là, il y a eu une baisse, ça s’est fait l’année dernière des rapports parlementaires, des ceux qui sont les plus attentifs pour aller sur le site de la CCR, il y a des rapports, etc. Là, il y avait vraiment un risque avéré de dégradation. Enfin, sur l’incapacité éventuelle des assureurs. Alors, il y a une partie des assureurs qui sont contrôlés par un organisme qui dépend de la Banque de France. Là, il y a quand même de manière avérée le fait que les coûts des sinistres globaux augmentent et que le ratio sinistre se dégrade.

Par contre, les assureurs sont des entreprises privées, donc elles ne sont pas en faillite et tout leur rôle est le contrôle fait par la Banque de France qui les pousse à augmenter leurs coussins de sécurité. Donc c’est vrai qu’il n’y a pas faillite. Donc ils augmentent l’organisation du contrôle des assurances en France qui est très bien fait. L’État régalien, c’est de dire « mettez des coussins de sécurité pour ne pas être en faillite ». Et après, c’est vrai, on ne va pas le nier, les résultats des grandes compagnies d’assurance, dont certaines sont cotées, sont bons. De l’autre côté, il faut l’avoir en tête, comme c’est une activité privée, il faut continuer de faire jouer la concurrence. Mais objectivement, tous les contrats d’assurance augmentent et après il y a une concurrence assez forte pour que les Français aussi puissent faire jouer la concurrence avec leur agent général d’assurance préféré.

Charlotte Simoni

Pour conclure cette interview, j’ai demandé à Grégoire Dupont si des mesures de prévention étaient éventuellement mises en place ou proposées par les assureurs comme des travaux de rénovation par exemple. Est-ce que les assureurs délivrent des conseils à l’assuré dont le bien se situe dans une zone à risque ? Pour le directeur général de l’AGÉA, l’enjeu réside dans la localisation du bâti et l’action collective. Et autant vous dire que le sujet est bien sûr très politique.

Grégoire Dupont

Oui, il y a la prévention, à l’échelle de l’assureur et de la personne. Mais il y a aussi toute une prévention collective des pouvoirs publics. Le but un peu trivial, c’est de réduire la facture. C’est aussi de réduire les dégâts chez une personne. Parce que quand vous avez 50 centimètres d’eau dans votre maison, vous en avez pour un an et demi le temps que ça se fasse. Les travaux c’est l’horreur, il faut être relogés, etc. Donc ce sont aussi des drames humains que tous mes agents voient malheureusement tous les jours. Donc il y a des choses que l’on peut faire sur un certain nombre de sinistres. Alors je vais prendre un exemple pour illustrer le sinistre inondation. Si on est vraiment dans des zones exposées, il y a ce qu’on appelle la mise en place de Batardeaux. Ce sont des petits murs, des petites digues amovibles qu’on peut installer et qui peuvent limiter l’arrivée d’eau, notamment sur les maisons qui sont structurées avec un sous-sol ou le garage en dessous. Un des gros sujets, ce sont aussi les dégâts électriques. À l’occasion de travaux ou de manière préventive, il faut penser à remonter les prises dans les sous-sols, pour faire en sorte que les prises ne soient pas à hauteur de chevilles, mais plutôt qu’elles soient à hauteur de hanche.

Donc il y a des choses très simples à faire, soit à l’occasion de travaux, soit post sinistre. Pour les inondations retrait gonflement d’argile, il y a quand même des choses possiblement à faire. Exemple : vous avez une jolie maison entourée d’arbres. Et bien sachez que les arbres aspirent encore plus l’eau en période de sécheresse. Donc un arbre à moins de cinq mètres d’une maison, il faut envisager éventuellement de l’abattre. Alors évidemment, il est très joli, et on a pris l’habitude de manger en dessous quand c’est l’été, mais il faut envisager de l’abattre ou d’en replanter un plus loin.

Pour tout ce qui concerne les cyclones ou autres, c’est plus compliqué. Ce sont plutôt des mesures préventives. Par exemple : quelques jours ou heures avant le cyclone, il faut penser à ramener tous les biens qu’on a laissé à l’extérieur (le parasol, la maison, le scooter, le vélo.). On peut avoir des choses calfeutrées, fermées… Donc il y a quand même des choses à faire. Mais face à ces évènements de grande ampleur, l’assuré ou l’assureur est plus limité sur le plan structurel. Donc il y a quand même beaucoup de choses à faire qui sont très compliquées. Mais il y a des choses à faire sur la partie actions collectives en matière de prévention.

L’enjeu, c’est la localisation du bâti. Et là on rebondit sur la partie patrimoniale, qui est de dire collectivement ce n’est pas les pouvoirs publics, ce n’est pas l’État, ce n’est pas le maire, ce sont les citoyens d’une commune soumis à une pression immobilière qui doivent agir. Parce que c’est attractif, parce qu’on est en bord de l’Atlantique, dans des zones qui sont non constructibles, il y a une pression pour les rendre constructibles. Et parce qu’il faut se loger, le prix du logement augmente… C’est à chaque citoyen et territoires de dire « on ne construit pas là et pour ce qui est déjà construit, on s’organise pour ne pas densifier la zone et éventuellement réfléchir sur l’abandon de telle maison ou de tel aménagement », car il est impossible de mettre des digues tout le long de l’Atlantique. Donc là il y a quelque chose de collectif qui n’est pas simple et il faut que les Français comprennent que ça dépend d’eux.

Encore une fois, il y a du court terme sur des zones très réduites et du moyen terme pour plus tard. Voilà le débat sur une loi qui s’appelle zéro artificialisation nette, etc. Et c’est pour l’avenir, parce que pour le passé c’est très compliqué, mais pour l’avenir, c’est quand même hyper structurant et c’est difficile parce que ce sont des choix. Quand on parle de la zone atlantique, ce sont des zones de fortes activités économiques, touristiques, même de choix de vie. Et là de résister en disant « non, on ne construit pas », c’est difficile. Donc c’est une vraie démarche politique au sens noble et premier. L’État prend sa part sur un certain nombre de choses, notamment tout ce qui est inondations, crues. Objectivement, la France est pas mal là-dessus. Ce sont des milliards d’euros, ce sont des aménagements ou des désaménagements. Là il y a des choses quand même qui sont faites. Le reste, ce sont les plans locaux d’urbanisme. Et là c’est une mobilisation citoyenne, une prise de conscience citoyenne parce que le maire qui est très conscient, très pushy sur le sujet, et bien il risque de perdre l’élection prochaine. C’est l’incohérence des Français.