Épisode 08
Pourquoi les émissions de méthane ont-elles augmenté ?
Marielle Saunois, Enseignante-Chercheuse au Laboratoire des Sciences et du Climat de l’Environnement
Angle mort de l’action climatique durant de nombreuses années, le méthane est aujourd’hui perçu comme une véritable bombe climatique à ne pas négliger.
Et pour cause : son pouvoir de réchauffement est 86 fois plus fort que le CO2 par unité de mesure sur une période de 20 ans.
Bien moins médiatisé et politisé que le dioxyde de carbone – qui représente près deux tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre induites par l’homme – le méthane a pourtant contribué à un tiers du réchauffement climatique depuis l’ère préindustrielle (1850).
Pire : selon le dernier bilan mondial du méthane, lancé par le Carbon Global Project et coordonné par Marielle Saunois, enseignante chercheuse à l’université de Versailles saint Quentin, les émissions n’ont fait qu’augmenter dans l’atmosphère.
« Sans jamais se stabiliser », précise Marielle Saunois.
Alors, comment expliquer une telle hausse ? Quelles sont les secteurs les plus émissifs ? Les principaux dangers ? Les solutions à mettre en place du côté des entreprises et par les particuliers ?
Autant de questions abordées aujourd’hui avec Marielle Saunois dans ce nouvel épisode de À Chaud !
Belle écoute,
CHIFFRES CLÉS
12 ans
c'est la durée de vie dans l'atmosphére du méthane
60%
c'est le pourcentage des émissions de méthane dues à l'activité humaine
40%
c'est le pourcentage des émissions de méthane imputable à l'agriculture
SOLUTIONS
Pour les plus jeunes :
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En famille :
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RESSOURCES
- Wetland emission and atmospheric sink changes explain methane growth in 2020 (Revue scientifique Nature – Décembre 2022)
- The methane imperative (Frontiers in science – Juillet 2024)
- Global methane budget (Global Carbon Project – Septembre 2024)
- Human activities now fuel two-thirds of global methane emissions (IOP Science – Septembre 2024)
- Site du Global Méthane Pledge
- Avantages et coûts de la diminution des émissions de méthane (Climate and clear air coalition)
Secteur des combustibles fossiles : 70 % des émissions de méthane pourraient être évitées (AIE – Juin 2025)
TRANSCRIPTION DE L'ÉPISODE
Cliquez ici pour lire transcription complète !
Charlotte Simoni
Véritable angle mort de l’action climatique durant de nombreuses années, le méthane est aujourd’hui perçu comme une bombe environnementale à ne pas négliger. Et pour cause : son pouvoir de réchauffement est 86 fois plus fort que le CO2 par unité de mesure sur une période de 20 ans. Mais concrètement, qu’est-ce que le méthane ? Quel est son processus de production et quelles sont ses sources naturelles et d’origine humaine ? Petite introduction avec Marielle Saunois.
Marielle Saunois
Le méthane est un composé carboné assez simple. C’est un carbone de quatre molécules d’hydrogène qu’on trouve dans l’atmosphère en petite quantité assez faible quantité, et qui est émis par différentes sources. Ces sources peuvent être aussi bien naturelles ou liées aux activités humaines. L’idée – avant de partir sur les sources – c’est de partir sur le processus de production du méthane.
La première, c’est du méthane plutôt microbien, qui va être produit par des microbes dans des conditions anaérobie, donc sans oxygène. Et ces conditions sans oxygène, on va les retrouver dans des milieux inondés ou saturés en eau. Donc tout ce qui est marécages, rivières, fonds de lacs, estuaires, toutes ces zones-là, plutôt naturelles. Et puis aussi les rizières qui sont des surfaces, puisque le riz est cultivé sous inondations et les rizières vont aussi être source de ce méthane plutôt microbien. Ce méthane microbien va également être produit par les déchets faits de matière organique. L’amoncellement des matières organiques va faire que, au fur et à mesure que ça s’amoncelle en bas du tas de déchets, il n’y a plus d’oxygène. Donc on va aller voir ces bactéries qui vont produire ce méthane à partir des déchets organiques. Donc ça c’est la première partie, le méthane d’origine microbienne.
Deuxième façon de produire du méthane, c’est toujours de la décomposition de la matière organique, mais sur des longues périodes géologiques, c’est ce qu’on appelle le méthane thermogénique. C’est ce qui nous permet de produire ce qu’on appelle les énergies fossiles. Donc il y a le pétrole, le charbon et le gaz. Et le gaz, en fait, c’est essentiellement du méthane.
Et le troisième et le dernier, c’est ce qu’on appelle le méthane pyrogéné qui est lié à la combustion de la matière organique qui n’est généralement pas complète. Donc ça ne produit pas que du dioxyde de carbone, mais ça va produire aussi d’autres composés, dont le méthane.
Après, les sources en elle-même peuvent être naturelles ou liées aux activités humaines et produire chacun des trois types de méthane. Donc, j’ai un peu parlé sur le méthane microbien avec les espaces naturels, marécageux, estuaires, rivières, lacs, tourbières. Enfin voilà, tout cela. Il y a les rizières sur la partie plutôt anthropique, les déchets. Et pour la partie thermogénique, on a le méthane lié aux énergies fossiles. Donc ce méthane, c’est le gaz naturel, qui va s’échapper quand on va exploiter les mines de charbon, parce que dans les mines de charbon, on va avoir des poches de méthane qui doivent être ventilées pour éviter les explosions parce que le méthane en présence d’oxygène explose. Donc d’un point de vue sécurité, on ventile, on fait échapper ces poches de méthane par sécurité dans les mines. Quand on ventile, le méthane s’échappe directement dans l’atmosphère. En ce qui concerne l’extraction du gaz et du pétrole, pour le gaz, évidemment on a ces poches, ce sont des poches de méthane qu’on exploite quand on veut exploiter le gaz.
Et quand on exploite le pétrole, on fait aussi échapper ce gaz et parfois selon les lieux, selon les compagnies, selon les industries qui exploitent, ce gaz est soit échappé dans l’atmosphère, soit brûlé. C’est ce qu’on appelle le torchage, qui est une autre façon d’éviter d’émettre du méthane. Mais quand on brûle du méthane, on émet du CO2. Et puis évidemment, on a des fuites de gaz naturel quand on exploite le gaz au moment de l’extraction. Et puis par la suite, lors de sa distribution dans les compresseurs, dans gazoduc et puis les réseaux plus locaux, les réseaux de villes, etc. Et dernière source d’énergie fossile pour le méthane pyrogéné, c’est lié à la combustion de la biomasse. Donc ça va être tout ce qui est combustion des forêts de la savane qui peut être déclenchée par l’homme avec la déforestation, avec la culture sur brûlis. Et on a aussi tout ce qui est combustion de tourbe ou de ce qu’on appelle le bio fuel de bois qui peut servir de chauffage ou de carburant pour cuisiner dans certains pays, et qui peut être important.
Charlotte Simoni
Dans la continuité de cette compréhension de ce qu’est le méthane, j’ai demandé à Marielle Saunois quels étaient les puits existants, car contrairement au CO2, le méthane n’est pas absorbé par les océans et les forêts. Il est éliminé dans l’atmosphère par plusieurs réactions chimiques. Le plus étonnant, c’est qu’une partie des molécules qui dégradent naturellement le méthane dans l’atmosphère a tendance à diminuer lorsque la pollution diminue, notamment car elles sont issues des transports. En gros, moins on pollue, plus la concentration de méthane dans l’atmosphère est élevée. Mais je laisse Marielle Saunois détricoter ce sujet et nous en dire plus sur la façon dont le méthane est détruit dans l’atmosphère.
Marielle Saunois
Le CO2 et le méthane sont deux molécules très différentes. Le CO2 va avoir un temps de vie dans l’atmosphère très long. Il va y avoir un cycle avec la biomasse puisqu’avec la photosynthèse, on a un cycle relativement rapide. Avec l’océan c’est beaucoup plus long. Donc le CO2 dans l’atmosphère, une fois qu’il est émis, va rester des centaines d’années en dehors de ce cycle avec la biomasse, alors que le méthane est détruit dans l’atmosphère par plusieurs réactions chimiques. Mais de façon prépondérante, environ à 90 %, la destruction du méthane se fait par oxydation via une molécule qu’on appelle un radical. Ce qui est très réactif au radical hydroxyle qui va détruire le méthane. On estime que le temps de vie du méthane, c’est environ une dizaine d’années. Pour remettre un petit peu de science, ça veut dire que si on émet une certaine quantité de méthane aujourd’hui, ça ne veut pas dire que dans dix ans cette quantité de méthane aura disparu. Ça suit des lois exponentielles. Donc on peut estimer que dans 20, 30 ans, plutôt 30 ans, la majorité du kilo de méthane que j’émets aujourd’hui aura disparu. Donc on travaille sur plusieurs décennies, donc c’est un autre petit puits de méthane. Juste pour finir sur la question, il y a aussi une absorption du méthane par les sols, donc par d’autres micro-organismes vont utiliser le méthane pour leur énergie et ne pas le produire. Donc c’est plutôt en condition avec des sols plutôt secs et non humides. Mais c’est un puits qui n’est pas majoritaire par rapport au puits de la destruction chimique de l’atmosphère.
Le radical hydroxyle OH est très lié à la chimie atmosphérique et cette chimie atmosphérique est relativement complexe et va avoir des impacts sur le climat et aussi sur la qualité de l’air. Donc ce radical va être produit par la photolyse, la photo dissociation de l’ozone dans l’atmosphère en présence de vapeur d’eau. Donc il faut de la vapeur d’eau. Et puis il y a la quantité d’ozone. L’ozone a aussi un temps de vie beaucoup plus court, de l’ordre d’1 ou 2 mois. Donc on n’est pas sur les mêmes échelles de temps. Cet ozone va être produit par des gaz qu’on appelle des précurseurs qui sont le monoxyde de carbone, les oxydes d’azote. Et ce qui se passe, c’est que par exemple, les oxydes d’azote sont essentiellement émis par le transport, la combustion de carburant, dont le transport. Ce qui s’est passé pendant les périodes de confinement du covid : on a eu moins de transport, donc moins d’émissions d’oxydes d’azote, donc cette baisse d’émissions d’oxyde d’azote a entraîné une modification un peu de la chimie atmosphérique sur cette période de quelques mois. On ne parle pas d’une tendance, on est vraiment sur une anomalie de printemps pendant les confinements.
Mais du coup, par exemple, sur ces périodes de confinement, on a eu moins de vaches et donc on a eu une destruction plus faible du méthane, ce qui fait que le méthane a pu s’accumuler de façon plus importante pendant cette période de confinement. Donc on a des interactions climat/chimie, climat/qualité de l’air importante, qui sont à prendre en compte et à réfléchir et dont les côtés positifs et négatifs ne sont pas forcément évidents en termes de bilan.
Donc là j’ai parlé du confinement, si on regarde à plus long terme, ça va aussi dépendre du climat, de la température, des précipitations. Donc, on a des émissions d’oxyde d’azote et en particulier le transport, avec un objectif d’un point de vue qualité de l’air, c’est de les diminuer. Donc si on diminue pour répondre aux objectifs de l’OMS, les émissions d’oxyde d’azote, parce qu’il y a encore beaucoup de régions où il y a de la pollution aux oxydes d’azote qui est un oxydant très fort et qui entraîne des problèmes respiratoires dans la population, ça permettrait de diminuer l’ozone. Très bien, mais il y aurait potentiellement un effet et donc sur la capacité à détruire le méthane dans l’atmosphère et donc ça entraînerait une accumulation plus importante. Ce n’est pas évident et ce n’est pas linéaire. Donc ça nous pose plein de questions de recherche qui sont intéressantes.
Charlotte Simoni
Après cette introduction plus que nécessaire, j’ai interrogé Marielle Saunois sur l’évolution des émissions de méthane, bien moins médiatisées et politisées que le dioxyde de carbone, qui représentent quand même près de deux tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre induites par l’homme.
Le méthane a pourtant contribué à un tiers du réchauffement climatique depuis l’ère préindustrielle selon le dernier bilan mondial du méthane lancé par le carbone Global Project et coordonné par Marielle Saunois. Les émissions n’ont fait qu’augmenter dans l’atmosphère. Pire, aucune stabilisation n’a jamais été constatée, au contraire des émissions de dioxyde de carbone qui ont – par exemple – diminué durant le Covid. Je vous laisse donc écouter les explications de Marielle Saunois sur ce sujet.
Marielle Saunois
Alors à l’heure actuelle, on estime qu’au moins 60% à deux tiers des émissions sont liées aux activités humaines. Donc on a dépassé la moitié il y a longtemps. Et donc ce pourcentage augmente d’année en année puisque les émissions liées aux activités humaines augmentent. Sur les émissions naturelles, elles sont plus difficiles à estimer. Mais on estime aussi qu’il y a une part de ces émissions qui sont perturbées de façon indirecte par ces activités humaines, en lien avec une modification de l’utilisation des sols, tout ce qui est marécages, mais aussi en lien avec le climat, puisque le changement climatique modifie les précipitations et les températures dans certaines régions. Et le méthane ? La production de méthane par ces microbes, par ces micro-organismes est liée aux conditions climatiques de températures et de précipitations. Je vous ai parlé de zones inondées. Il faut avoir une zone inondée. Et puis cette production est influencée par la température, la température étant d’autant plus grande que la production va être va être importante. Sur les émissions liées aux activités anthropiques à l’échelle mondiale, elles sont toujours en augmentation à l’échelle mondiale. On n’a pas de stabilisation.
Mais il y a quand même certaines régions, certains pays qui ont leurs émissions qui diminuent. C’est le cas de l’Europe depuis plusieurs dizaines d’années. Sur d’autres pays/régions un petit peu moins. Donc ça veut dire qu’on peut mettre des choses en place. Mais effectivement, c’est toujours en augmentation et ça augmente surtout dans les pays en voie de développement. Alors ça augmente aussi en Chine, même si ça tend à se stabiliser un peu plus en Chine, mais en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud, il y a des émissions qui augmentent. Ces pays sont toujours un petit peu en décalés avec les pays occidentaux où leurs développements se font maintenant où ils augmentent leur population. Donc la quantité de déchets augmente, les émissions augmentent, l’agriculture aussi contribue à ces augmentations. Et on ne note pas de diminution des émissions des énergies fossiles dans les pays.
Dans les pays d’Afrique, au Moyen-Orient, aux États-Unis, c’est moins clair. On s’appuie aussi sur différentes études et les études s’appuient sur des statistiques et des statistiques de production, mais aussi des statistiques de technologie. Quelles technologies vont être mises en place ? Est ce qu’on torche ou pas le gaz ? Comment entracte-t-on le pétrole ? Et toutes les études ne sont pas en accord. Donc c’est un peu problématique. Même pour les États-Unis, il n’y a pas forcément de décroissance consensuelle. Donc clairement ça continue d’augmenter. Vous avez dû entendre parler du Global Missing Pledge qui a été signé par 150-155 pays et dont l’objectif est de réduire de 30 % les émissions mondiales en 2030 par rapport à 2020. Et notre inquiétude, c’est qu’on est en 2024, on a essayé de grappiller un petit peu jusqu’à 2022-2023, mais ça continue d’augmenter. On n’a même pas de pic de stabilisation. Alors, est ce qu’on va arriver à ces moins 30 % dans six ans ? J’espère qu’il y aura un tournant qui sera pris par de nombreux pays.
Je sais qu’il y a de nombreux pays qui travaillent sur des plans d’action, sur des stratégies, même des pays qui n’ont pas signé ce Global Missins Pledge. La Chine en particulier n’a pas signé, mais elle a un plan de réduction du méthane. Voilà, ce n’est pas tout noir ou tout blanc. Mais oui, j’espère que dans quelques années j’arriverai à dire que les émissions se stabilisent ou ont diminué à l’échelle mondiale.
Charlotte Simoni
Vous l’aurez donc compris, si les émissions n’ont de cesse d’augmenter, elles ont toutefois baissé en Europe. Un point sur lequel j’avais vraiment envie de revenir. Pourquoi en Europe et pas ailleurs dans le monde ? Dans quels secteurs est-ce que les mesures ou les solutions pour réduire les émissions de méthane en Europe peuvent trouver leur place dans d’autres pays du monde ? Et – petit aparté – avant d’écouter les réponses de Marielle Saunois sur ce sujet, je ne sais pas si vous y avez prêté attention, mais nous avons oublié toutes les deux de parler des émissions de méthane des ruminants en première partie de cet épisode. Un point que développe justement Marielle Saunois ici.
Marielle Saunois
Les émissions en Europe sont quand même essentiellement issues de l’agriculture, des déchets et un petit peu des énergies fossiles. Alors les énergies fossiles, c’est plutôt en Europe de l’Est. Sinon il n’y en a quand même pas trop. Du coup, il nous reste l’agriculture et les déchets. Alors même si les émissions par les énergies fossiles ont diminué au cours des dernières décennies parce qu’on exploite moins de gaz en Europe qu’avant, donc moins d’énergie fossile en Europe qu’avant, il nous reste l’agriculture et les déchets. Sur les déchets, les émissions ont pas mal diminué, notamment grâce à une directive des années 90 qui a interdit les décharges à ciel ouvert. Du fait de l’interdiction des décharges à ciel ouvert, on a pu empêcher cet échappement de méthane produit par la dégradation de la matière organique des décharges. Je pense que ça a été vraiment le point clé en fait. Et maintenant les décharges sont soit couvertes, soit enfouies avec une couverture hermétique dessus, soit brûlées. On a pu diminuer les émissions de méthane comme ça. Donc la solution finalement, de notre point de vue, elle n’est pas si compliquée. Mais il faut mettre en place toute la logistique. La technologie, clairement, ça existe. Donc c’est applicable partout à l’heure actuelle.
Ensuite, il reste l’agriculture. Les émissions agricoles sont essentiellement liées à l’élevage. En fait, je les ai oubliées tout à l’heure. L’élevage, parce qu’il y a des micro-organismes dans les estomacs des ruminants qui produisent du méthane et qui sont échappés quand les animaux rotent essentiellement. En Europe, les émissions agricoles liées à l’élevage ont diminué via la politique agricole commune qui a favorisé les grandes exploitations et permis un meilleur rendement laitier en particulier. De façon plus étonnante, on a réussi à avoir la même quantité de production laitière et des émissions de méthane moindre. Donc on a réussi à diminuer les émissions de méthane et à avoir une production agricole similaire, voire en augmentation. Donc c’est sur ces deux secteurs en Europe sur lesquels on voit vraiment une diminution des émissions de méthane au cours des dernières décennies.
Charlotte Simoni
Ce qui me frappe au regard des chiffres du dernier bilan mondial du méthane et des explications de Marielle Saunois, c’est le retard que nous avons pris en matière d’action climatique vis à vis du méthane à l’échelle mondiale. J’ai donc voulu comprendre pourquoi le méthane était resté pendant si longtemps l’angle mort de notre action climatique. Était-ce parce qu’il y avait d’abord urgence à baisser les émissions de CO2 ou parce que les estimations étaient trop compliquées ? Marielle Saunois me répond.
Marielle Saunois
Je pense qu’il y a différentes raisons, peut-être pas exhaustives ici. Mais la première c’est que le CO2 étant le premier gaz à effet de serre présent en quantité beaucoup plus importante dans l’atmosphère que le méthane, a pris la première place sur le podium et a gardé finalement cette hégémonie.
La seconde, c’est que les sources de méthane sont très variées, très diverses. Elles sont sans doute plus difficiles à estimer par rapport aux activités humaines que les sources de dioxyde de carbone qui sont liées, pas exclusivement, mais majoritairement, à la combustion des énergies fossiles. Donc d’un point de vue quantification, c’est un peu plus facile. On sait à peu près combien on brûle de gaz, de carbone, de pétrole et de charbon. Pour le méthane, c’est plus difficile du fait de cette production microbienne qui fait que l’estimation n’est pas si simple. Le côté biologique de la chose complique un peu et augmente l’incertitude de notre connaissance.
D’un point de vue de la communauté scientifique, on a aussi commencé à travailler sur le méthane après le CO2. Donc tout ce qui est modélisation, estimation, ça s’est fait après. Et la communauté s’est aussi renforcée sur ces questions. Ces dix dernières années, on a réussi à fédérer beaucoup de groupes de recherche qui travaillaient de façon indépendante sur l’ensemble de ces sources. Et finalement, donc là je parle d’émissions, mais ce qu’on arrive bien à connaître d’un point de vue scientifique, c’est la quantité de méthane dans l’atmosphère. De même, les mesures en continue de méthane se sont faites de façon régulière après le CO2.
Donc on a toujours ce décalage à la fois de scientifique, de connaissance, d’estimation des quantités dans l’atmosphère, d’estimation des sources, qui s’est fait en décalage avec le CO2 et qui fait que l’attention médiatique et politique a eu aussi ce décalage sur le méthane par rapport au CO2.
Charlotte Simoni
Autre point que je souhaitais aborder : les principaux dangers liés au méthane. Je me suis demandée : est-ce principalement son pouvoir de réchauffement ou existe-t-il d’autres dangers tout aussi importants, comme ceux liés à la santé par exemple ? Marielle Saunois me répond.
Marielle Saunois
Alors le danger est le même que pour le CO2 : c’est qu’il a un pouvoir de réchauffement important. J’ai envie de le prendre à l’envers. C’est plutôt l’intérêt du méthane par rapport au CO2. Alors oui, il a un pouvoir de réchauffement plus important, mais on en émet beaucoup moins. Par contre, ce qui va être intéressant, c’est sa destruction dans l’atmosphère qui n’est assez rapide par rapport au CO2. Et l’idée, c’est effectivement de se dire que si là on stabilisait les émissions sans même vouloir les décroître, si on stabilisait les émissions comme on va détruire le méthane continuellement dans l’atmosphère, à terme, on va diminuer les concentrations. C’est ce vers quoi on veut aller. Donc si on diminue les émissions, on va diminuer d’autant plus rapidement les concentrations et avoir par conséquent un impact climatique moindre.
Ce sur quoi on discute plutôt actuellement, ce sont les bénéfices qu’on aurait à relativement court terme. Parce qu’on parle sur 20 ou 30 ans de réduire rapidement les émissions de méthane. Réduire rapidement les émissions de méthane, comme je viens de dire permettrait de réduire relativement rapidement les concentrations de méthane et donc l’impact climatique à notre échelle de vie sur 20 ou 30 ans. Ce qui est important pour nous et nos enfants dans les décennies à venir. Le méthane, c’est plutôt sur les décennies à venir. Alors que diminuer les émissions de dioxyde de carbone, c’est plus pour une stabilisation de la température à long terme. Donc là, on parle plutôt sur la centaine d’années, mais les deux sont complémentaires. Les deux sont complémentaires dans le sens où si on travaille sur la diminution des émissions de méthane actuellement, on va réussir à amoindrir ce pic de réchauffement climatique qu’on pourrait atteindre, tout en diminuant les émissions de CO2 pour stabiliser la température.
L’idée, c’est que la température augmente à un moment donné. On veut qu’elle ait un pic et puis qu’elle redescende ou au moins qu’elle se stabilise et diminue. Les émissions de méthane permettraient de réduire un petit peu cette hauteur du pic de température. Donc diminuer les émissions de méthane – au-delà du climat – ça permettrait d’avoir des bénéfices en termes de qualité de l’air, de rendement des écosystèmes, et aussi d’heures de travail. Parce que quand il fait trop chaud, il y a beaucoup de gens qui ne travaillent pas. Donc si on réduit les pics de température estivaux, on peut gagner des heures de travail. On peut voir ça d’un point de vue économique aussi.
Charlotte Simoni
Avant de terminer cet entretien sur les solutions existantes pour réduire les émissions de méthane, je fais un aparté sur le permafrost. Pour ceux d’entre vous qui l’ignorent, le permafrost ou pergélisol en français est un sol perpétuellement gelé, parfois depuis des millions d’années. On le trouve principalement dans l’hémisphère nord, dans des régions comme la Sibérie, le Canada ou l’Alaska, et au total, il représente 20 à 25 % des terres émergées sur ce sol gelé. Des débris de végétaux se sont accumulés et à cause du gel n’ont pas été dégradés par les bactéries dont le métabolisme est logiquement ralenti par le froid.
Le problème en cas de dégel : ce métabolisme s’accélère et la matière organique est transformée en dioxyde de carbone ou méthane. Selon le CNRS, le pergélisol contiendrait près du double du carbone déjà présent dans l’atmosphère. Imaginez-vous. J’ai donc demandé à Marie Saunois quelles étaient les préoccupations de la communauté scientifique à ce sujet ?
Marielle Saunois
Tout à l’heure, je n’ai mentionné que les émissions naturelles. Essentiellement, tout ce qui concerne les zones humides, lacs, rivières produisent du méthane microbien qui était dépendant du climat et de la température des précipitations. Là, on commence à se rendre compte qu’effectivement la perturbation du climat, que ce soit aussi bien en précipitations qu’en augmentation de température, commence à avoir un impact sur les sources naturelles. Augmenter la température signifie augmenter les émissions de méthane par ces sources naturelles. Au-delà de ce qu’on peut faire sur nos activités humaines, augmenter la température de la surface de la Terre entraîne une augmentation des émissions de méthane par les zones humides. Le permafrost est en train de fondre en partie et effectivement, ça se transforme en zone humide et c’est une zone avec beaucoup de carbone qui peut être transformée en méthane. Donc pour l’instant, pour le moment, le signal à l’échelle mondiale est relativement faible. Ça ne veut pas dire qu’à l’échelle locale, ce n’est pas observé et qu’à un certain moment, ça puisse devenir un signal fort par rapport aux augmentations. Parce que là, on a toujours les augmentations, on a une variabilité d’année en année liée à la variabilité climatique. Et puis on a cette augmentation continue des émissions anthropiques.
Donc le signal du permafrost, pour l’instant, est un petit peu dilué là-dedans, mais ça ne veut pas dire que je ne peux pas vous dire ce qui va se passer ensuite. Ça dépend aussi de l’accélération du réchauffement à venir. Mais la rétroaction du permafrost est à prendre en compte.
Charlotte Simoni
Pour conclure cet entretien sur une note positive, je voulais évoquer les solutions à mettre en place pour baisser les émissions de méthane. Car comme le précise le Climate and Clean Air Coalition, la réduction des émissions de méthane d’origine humaine est l’une des stratégies les plus rapides et les plus rentables pour réduire le taux de réchauffement et contribuer aux efforts mondiaux visant à limiter la hausse de la température à 1,5 degré et – en parallèle – à présenter bien sûr des avantages pour la santé humaine, la sécurité alimentaire et les écosystèmes. Alors justement, par quoi commencer ? Y a-t-il des secteurs sur lesquels il est plus facile d’agir que d’autres ? Je laisse la parole à Marielle Saunois.
Marielle Saunois
À l’échelle mondiale, le premier secteur avec le potentiel de réduction des émissions de méthane le plus important, ce sont les énergies fossiles. Ce sont les énergies fossiles puisque le méthane qui est émis par ce secteur d’émission, c’est en gros du méthane perdu qui est lié à des fuites, un problème de maintenance, un défaut d’exploitation, un défaut sur les réseaux, sur les compresseurs… Donc d’un point de vue facilité, le secteur des énergies fossiles a le meilleur potentiel de réduction des émissions de méthane, a un coût faible, voire négatif, lié à cette plus-value de récupération de méthane perdue. Les industriels ont mis le pied à l’étrier sur ce sujet. Sans doute pas tous mais pas mal d’entre eux afin d’estimer leurs émissions, leurs fuites, l’état des matériels, et donc une détection sur leurs installations et après de passer à la phase de réparation. Sachant qu’aujourd’hui, avec les mesures satellites, on peut voir par satellite de très grosses fuites sur ces sites et on peut voir aussi quand elles sont réparées ou pas. Donc ça peut être aussi une incitation pour les industriels car ils ne peuvent plus trop le cacher, vu que ce sont des fuites très importantes. Par contre, les petites fuites, c’est plus compliqué. Pour le secteur des énergies fossiles, il va surtout y avoir un potentiel de réduction pour les pays exploitant les énergies fossiles. Donc, ce n’est pas tous les pays non plus. En France, en Europe, ça va beaucoup moins bien marcher qu’ailleurs.
Deuxième secteur qui a un potentiel de réduction important, c’est le secteur des déchets. Donc effectivement, en Europe, ça a bien marché. En gros, d’après ce que j’ai dit, il suffirait d’interdire les décharges à ciel ouvert, de couvrir et de ne pas laisser s’échapper le méthane. Donc dit comme ça, c’est facile, mais dans certains pays, il n’y a pas d’infrastructures sur la gestion des déchets. Il y a des montagnes de déchets qui font des hectares. Dans ce cas, c’est toute une infrastructure, une logistique, une culture aussi à mettre en place. Donc c’est plus un développement logistique à mettre en place et aussi du travail culturel dans ces pays, sachant qu’on peut couvrir mais qu’on peut aussi essayer de récupérer le méthane qui est produit pour le valoriser et l’utiliser en tant qu’énergie. L’idée, c’est d’avoir son plateau de déchets qui va être couverts par des bâches hermétiques et à l’intérieur, je pense qu’il y a un genre de tuyauteries qui va permettre de capter le méthane et de le récupérer et de le sortir de ces tuyaux. On peut récupérer le méthane comme ça. Donc je sais que ça, ça se fait.
Les déchets qui s’amoncellent, c’est aussi un problème de santé dans ces pays-là pour les populations qui vivent à côté. Il n’y a pas que du méthane qui s’échappe, il y a plein de trucs qui ne sont pas du tout bons à respirer. Donc la prise de conscience est là. Pas seulement pour le climat, mais aussi pour la santé. Je pense en particulier à certains pays d’Amérique du Sud où il y a vraiment des hectares de déchets. C’est sans doute un manque structurel au début et de logistiques sur les déchets. Au début, on met ça dans un coin, ça ne prend pas de place et puis au fur et à mesure, la population augmente, les déchets augmentent et ça devient un gros problème qui est d’autant plus difficile à solutionner que l’amoncellement est important et que, à côté, il n’y a pas eu de traitement et de tri de récolte mis en place dans ces pays. Je ne suis pas assez calée, je ne connais pas assez bien leur histoire pour bien en parler. Mais alors en Amérique ou en Afrique aussi, c’est un petit peu le même problème. Il y a peu de moyens qui ont été mis à disposition pour traiter ces questions.
