photo de louise tschanz

Épisode 14

Santionner les grands pollueurs

Louise Tschanz, Avocate associée du cabinet Kaizen Avocat

Que dit la loi face aux dommages causés à l’environnement ? Les pollueurs sont-ils réellement sanctionnés ou les peines sont-elles encore trop faibles ? De quels outils disposent concrètement les avocats pour faire condamner ceux qui portent atteinte à l’environnement ?

Une multitude de questions que j’aborde dans cet épisode avec Maître Louise Tschanz, associée fondatrice du cabinet Kaizen Avocat.

Et autant dire qu’avec l’adoption par le Parlement – le 20 février dernier – de la loi visant à lutter contre les polluants éternels (les per et polyfluoroalkylées, plus connus sous l’acronyme PFAS), le volet judiciaire n’a jamais été autant d’actualité. Objectif de ce texte : interdire dès le 1er janvier 2026, la production de produit contenant des PFAS.

Un combat que Louise Tschanz connait bien puisqu’elle est la première avocate à avoir mené une action en justice contre l’usine Arkéma de Pierre-Bénite pour limiter des rejets aqueux de PFAS. Aujourd’hui, son cabinet fait même partie d’une action « de masse » visant à faire condamner Arkéma et Daikin pour des faits similaires au civil.

C’est dire la volonté de son engagement, aussi bien personnel que professionnel.

Mais je ne vous en dis pas plus et laisse place à ma conversation avec Louise Tschanz.

Belle écoute !

Au programme ;

  • Les nomenclatures du droit de l’environnement (03 :10)
  • Différence entre droit pénal et droit civil (05 :04)
  • Que prévoit la loi en cas de dommages à l’environnement ? (05 :22)
  • Pollution des sols : pourquoi les textes ne prévoient rien ? (07 :41)
  • Les impunités sur les atteintes à l’environnement (09 :20)
  • Quid des punitives damages (12 :53)
  • Affaire Arkéma (16 :39)
  • Outils de condamnation en droit pénal pour sanctionner les pollueurs (18 :12)
  • Nouvelle directive européenne 2024/2103 (19 :40)
  • Premier dossier d’écocide (22 :04)
  • Faits d’actualités et contamination aux PFAS (24 :29)

CHIFFRES CLÉS

18 200

C’est le nombre d’affaires relatives au contentieux de l’environnement traitées par le parquet en 2021

24%

Pourcentage des décès dans le monde lié aux facteurs environnementaux, dont l’exposition à un environnement pollué

40 millions

Montant de l’amende à laquelle s’exposent les entreprises en cas d'infraction environnementale

SOLUTIONS

Pour les lecteurs :

Pour les amateurs de fresque :

  • Participer à une fresque du sol, un outil ludique et collaboratif qui vise à diffuser un langage commun sur le fonctionnement des sols et sur les enjeux liés à leur préservation.
  • Participer à une fresque de l’eau, un atelier collaboratif qui sensibilise aux enjeux liés à l’eau et à notre impact sur cette ressource. Il existe même une fresque de l’eau Junior pour les plus jeunes (à partir de 8 ans).

Pour ceux qui veulent aller encore plus loin :

  • L’Université du Lot et Garonne organise une conférence le mercredi 02 avril 2025 sur le sujet « Crime Environnemental », animé par Carlos Manuel Alvez.
  • Assister à la table ronde « Faut-il reconnaitre la nature comme un sujet de droit ? », organisée par l’Académie  du Climat le 14 février de 18h30 à 20h00.

RESSOURCES

TRANSCRIPTION DE L'ÉPISODE

Charlotte Simoni

Écocide, criminalité environnementale, droit de l’énergie, des déchets… Les termes et les notions employés par les médias sont nombreux et peuvent rendre notre compréhension du sujet un peu confuse. En préambule de cet épisode, j’ai donc demandé à Maître Tschanz de m’expliquer ce qu’englobe concrètement le droit de l’environnement.

Louise Tschanz

Le droit de l’environnement englobe toutes les réglementations, les textes, les jurisprudences qui ont attrait à l’environnement. Il y a quatre grandes nomenclatures qui sont les principaux axes du droit de l’environnement. Il y a les installations classées pour la protection de l’environnement, qui concernent 5 000 sites en France et qui sont classés parce qu’ils peuvent générer des dangers. Il y a la nomenclature des déchets, donc le droit des déchets. Il y a le droit de l’eau avec la nomenclature IOTA, qui concerne les installations, ouvrages, travaux et activités ayant une incidence sur l’eau et les milieux aquatiques. Et enfin, il y a une nomenclature sur les évaluations des plans et programmes, les évaluations environnementales. C’est-à-dire qu’il y a un projet par qui va se construire et les porteurs de projets doivent réaliser des études d’impact, des évaluations environnementales pour éviter au maximum les impacts négatifs sur l’environnement.

Charlotte Simoni

Avant de rentrer dans le vif du sujet et dans la continuité des bases de droits de l’environnement évoquées par Maître Tschanz, je vous propose d’écouter la différence entre droit pénal et droit civil. Et spoiler : les délais sont souvent longs dans les deux cas.

Louise Tschanz

Alors la différence est assez simple. L’objectif du droit pénal est de condamner les coupables. Il peut y avoir des intérêts civils pour les victimes, mais ce n’est pas l’objectif principal. L’objectif principal, c’est de rechercher qui a commis l’infraction et de condamner. On voit bien – par exemple – avec le procès Gisèle Pélicot que tout s’est concentré sur les coupables. Donc on a passé les 50 coupables en revue. L’objectif n’est pas forcément d’écouter la victime. L’objectif, c’est vraiment de condamner les coupables pour faire respecter l’ordre public. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a eu un rapport il y a quelques années déjà, deux ans je pense, du rapporteur général de la Cour de cassation sur le droit pénal de l’environnement, qui disait qu’il y a un ordre public économique, mais il y a aussi un ordre public environnemental. Et en fait, il faut faire respecter cet ordre public environnemental. Donc ça, c’est l’objectif du droit pénal.

L’objectif du droit privé, c’est de réparer les dommages. Donc vous avez subi un préjudice, vous allez demander la réparation de ce préjudice. On peut faire les deux. On peut choisir une voie, on peut choisir les deux. Après, c’est ça aussi qui est très intéressant, c’est qu’on a beaucoup de marge de manœuvre dans la stratégie qu’on va mettre en place. Et d’ailleurs, les avocats ont chacun leur stratégie, leur approche en fonction de leur vision, et puis en fonction de leurs clients.

Charlotte Simoni

Deuxième point, j’ai interrogé mon invité sur la manière d’appréhender les dommages causés à l’environnement. En clair, y a-t-il des domaines plus protégés que d’autres ? Que punissent les textes actuellement ? Et quels types de pollutions sont aujourd’hui sanctionnées ?

Louise Tschanz

On peut appréhender les choses sous l’angle du milieu. Par exemple, l’air ou l’eau ont des protections spécifiques dans le Code de l’environnement. Pas les sols, par exemple. Mais l’eau est un milieu qui est très protégé. Les poissons, par exemple, il y a un délit particulier si on déverse des substances qui portent atteinte aux poissons. Et donc, c’est assez intéressant. C’est 2 ans de prison et 18 000 euros d’amende. Alors, 2 ans de prison et 18 000 euros d’amende, c’est le maximum. En tout cas, ce sont les peines qui sont prévues par cet article, le L432-2 du Code de l’environnement. C’est le fait de jeter qui est punit. C’est le fait de jeter, déverser ou laisser écouler dans les eaux, directement ou indirectement, des substances quelconques dont l’action ou les réactions détruisent les poissons ou nuisent à sa nutrition, à sa reproduction, à sa valeur alimentaire. Donc là, on voit bien que c’est la destruction du poisson, une nuisance à la nutrition du poisson, à sa reproduction, à sa valeur alimentaire. C’est vraiment l’angle piscicole/ressources halieutiques. Il y a aussi l’article L116-6 du code de l’environnement qui est le déni général de pollution des eaux avec le fait de jeter déverser ou laisser s’écouler dans les eaux superficielles souterraines ou les eaux de la mer – directement ou indirectement – une ou des substances quelconques dont l’action ou les réactions entraînent, même provisoirement, des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune.

Et après, il y a une approche plus d’infraction à la réglementation environnementale. Ce qui va être sanctionné, c’est par exemple le fait de ne pas avoir déposé le bon titre, exercé sans titre. Donc ça, c’est plus une approche de… En fait, on a le droit administratif à respecter. Comme je vous le disais, il y a quatre nomenclatures. Et donc, en droit des déchets, on a besoin d’avoir un titre pour exploiter. On peut avoir des sanctions administratives et des sanctions pénales. Ça vient sanctionner le non-respect du droit de l’environnement, le droit administratif de l’environnement.

Charlotte Simoni

Pour rebondir aux propos de Maître Tschanz, je me suis demandée pourquoi la pollution des sols était moins punie que les dommages causés à l’air ou à l’eau. Pourtant, l’enjeu est de taille : selon un rapport sénatorial de septembre 2020, issu de la commission d’enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols, de nombreux sites ont souvent été fermés sans précaution ni dépollution. Conséquence ? Des risques pour la santé humaine, la biodiversité, le climat ou encore la protection des eaux.

Louise Tschanz

En fait, les sols sont le dernier milieu qui n’a pas été réglementé au niveau de l’Union européenne. C’est étonnant, surtout qu’au niveau de l’Union européenne, on a 70% des sols qui sont dégradés. Cela étant, je pense qu’il faut se rendre compte, à mon avis, je n’ai pas fait de recherche particulièrement dessus, mais à mon avis, c’est aussi en lien avec l’agriculture. C’est-à-dire que si on protège les sols, il serait interdit de mettre des pesticides étant donné que ça pollue les sols et que ça pollue l’eau. C’est vrai qu’au niveau de l’Union européenne, il y a beaucoup de directives sur l’eau et sur l’air, mais pas sur les sols. Il y avait un projet de directive sur les sols qui a été repris et relancé d’ailleurs par une sénatrice qui s’appelle Gisèle Jourda, qui a fait un gros travail sur la protection des sols, la pollution des sols en 2019-2020, mais ça n’a pas abouti.

Charlotte Simoni

Lors de mes recherches sur le sujet du droit de l’environnement, j’étais tombée sur une vidéo de Maître Tschanz pour Polytech 2024 où elle parlait d’impunité concernant les atteintes à l’environnement. Du coup, je me suis questionnée : de quel type d’impunité parle-t-on ? Est-ce que cela sous-entend que les entreprises qui polluent ne sont pas ou peu sanctionnées ? Ou est-ce que cela veut dire que les sanctions sont bien trop douces par rapport aux préjudices émis ? Maître Tschanz me répond.

Louise Tschanz

J’entends par impunité que les personnes qui polluent ne sont pas sanctionnées à la mesure de ce qu’elles devraient être. L’idée du pénal, c’est d’avoir un effet dissuasif sur des faits qui sont pénalement répréhensibles. Et les circulaires de droit pénal de l’environnement disent qu’il faut que ce soit dissuasif. Par exemple, faire en sorte que l’amende soit proportionnée aux gains économiques. C’est ça aussi un aspect intéressant. J’ai lu un article récemment, un rapport sur la délinquance environnementale, qui indiquait qu’il n’existait pas de crime environnemental pour la plupart des personnes qui polluent et commettent des délits environnementaux. Aujourd’hui le seul crime environnemental c’est l’éco-terrorisme, dans le sens terrorisme avec des armes bactériologiques. Heureusement pour l’instant nous n’avons pas ce sujet à traiter. Nous traitons uniquement de la délinquance environnementale.

Et en fait, le souhait initial de cette délinquance, ce n’est pas dire « je vais polluer parce que j’adore polluer », c’est de dire « je veux gagner de l’argent ». Et par voie de conséquence, je ne fais pas attention, je ne mets pas de filtre pour retenir les polluants, je ne change pas mes cuves. Conséquences : il y a des pollutions qui se créent, mais la base c’est le gain économique. Et le problème, c’est qu’aujourd’hui, nous n’avons pas de sanctions qui soient à la hauteur des gains économiques qui bénéficient aux délinquants environnementaux. Et donc, c’est pour ça qu’il faut changer.

C’est pour ça que je parle du principe pollueur-payeur. C’est hyper important de comprendre que ce principe a été conçu pour justement contrebalancer ce gain économique fait par les pollueurs. Et qu’en fait, ce gain économique ne devrait pas exister. Le problème, c’est qu’en fait, une fois qu’on a pollué, c’est très complexe à analyser et c’est très complexe de trouver des solutions. Et en fait, ce principe pollueur-payeur est aussi critiqué par certains juristes qui disent que c’est un peu un permis de nuire. Et quelque part, je rejoins Fleur Berlingen qui parle beaucoup de ça et qui a écrit un livre à ce sujet. Et c’est vrai que dans l’idée, on ne devrait pas autoriser de pollution. Ce serait plus simple de faire de la prévention. Et d’ailleurs, dans les textes fondateurs de l’Union européenne, on a le principe de prévention qui est la réduction de la nuisance à la source. Il faudrait concevoir un autre monde où on fait tout en prévention. On interdit de polluer.

Charlotte Simoni

Dans cet autre monde qu’évoque mon invité, je me suis demandée s’il ne serait pas envisageable ou préférable tout du moins d’introduire les punitive damages, vous savez ces versements à l’américaine, qui vont au-delà de l’indemnitaire, aux fins notamment de punir leurs auteurs lorsqu’il ont eu un comportement illégal et d’une particulière mauvaise foi. Un peu comme dans la série Suits où Hervé Specter, l’un des personnages principaux de la série, avocat à New York, tente toujours de négocier à coup de gros sous. En réponse, Maître Tschanz évoque plutôt le principe de pollueur-payeur et le manque de corrélation en droit français entre le préjudice environnemental subi et la faiblesse des montants versés aux victimes.

Louise Tschanz

La demande, ce n’est rien du tout par rapport à ce qu’ils ont gagné. Là, moi, j’ai un dossier où ils avaient une surface initiale de 5 000 m2. Ils ont détruit une zone naturelle et ils ont fait une extension de 10 000 m2. C’est interdit en droit de l’urbanisme, interdit un droit de l’environnement. Ils l’ont fait quand même ! Ça fait cinq ans maintenant. On est en procédure, et ça fait cinq ans ! Ils ont dû gagner 2 millions, 3 millions, l’amende, elle ne sera jamais… Il faudrait que l’amende fasse 10 millions pour que ce soit dissuasif. C’est ce que réclament les circulaires, et c’est ça qui ferait que ça fonctionnerait. Les gens arrêteraient de faire ça s’ils savaient qu’en fait, derrière, c’est une amende de 10 millions.

Je parle beaucoup du principe pollueur payeur parce que déjà, il faut le remettre au goût du jour, dans la mesure où ce principe, ce n’est pas seulement de payer en cas de pollution. Ce principe se résume via trois branches. D’abord, je dois payer toutes les mesures de prévention de la pollution. Ensuite, je dois payer toutes les mesures de réduction de la pollution. Et enfin, je dois payer s’il y a des pollutions. Et du coup, déjà, sin on déployait toutes ces branches, ça changerait tout. Et puis, bien sûr, il y a le principe de réalité, c’est-à-dire qu’aujourd’hui on a des pollutions qui doivent être sanctionnées. Après, c’est sûr que les montants ne sont pas du tout comme aux États-Unis. On n’a pas la même justice. On n’a pas les mêmes fonctionnements.

En France, les magistrats ont une approche du préjudice qui est tout le préjudice, rien que le préjudice. Il ne faut pas qu’il y ait un enrichissement de la victime ou de la personne qui a supplié le dommage par la procédure. C’est compliqué. Et les magistrats n’ont pas le souhait de passer dans une justice à l’américaine.

Il y a quelque chose à faire évoluer en termes d’appréciation de la gravité du préjudice et des montants qui sont octroyés. Par exemple, il y a des enfants qui ont été malades à cause de la pollution de l’air. Le lien de causalité a été reconnu par les magistrats administratifs qui ont octroyé 2000 euros pour une famille qui a dû déménager à cause de la pollution de l’air. Il y a des enfants qui faisaient des bronchiolites en permanence. Et en fait, je me dis, ce n’est pas corrélé. Je veux dire, rien que le prix des déménagements… la santé, l’enfance… Donc, je pense qu’effectivement, il y a quelque chose à faire là-dessus. Cela étant dit, je ne suis pas pour que ce soient des milliards et des milliards, mais il y a quand même cet aspect de… En fait, on est dans un monde capitaliste. On a des sociétés qui gagnent énormément d’argent. Par exemple, sur les polluants éternels au sud de Lyon, Arkema gagne des milliards de chiffre d’affaires par an. Et en fait, si les sanctions sont de 100 000 euros au bout de 10 ans de procédure, c’est évident que ça n’a aucun aspect dissuasif.

Charlotte Simoni

Pour rappel, 10 associations et une quarantaine de riverains demandaient la réduction rapide de rejet des PFAS, également appelés polluants éternels, par l’usine Arkema située à Pierre-Bénite. Au moins 200 000 personnes étaient impactées par ces rejets. Maître Tschanz m’en dit plus.

Louise Tschanz

Avec l’association Notre Affaire à Tous, j’ai étudié les installations classées de la vallée de la Chimie pour savoir ce qui se passait au niveau des installations classées. Parce qu’il y en a beaucoup qui sont Seveso, donc le plus haut niveau de dangerosité en France. Il y a environ 1200 sites en France qui sont Seveso. Et donc, on a étudié ça. Après, on a vu qu’effectivement, à ma grande surprise, honnêtement, je ne pensais pas qu’on découvrirait autant de non-conformité sur des sites si dangereux et on a découvert ça et du coup on a décidé d’utiliser le référé pénal environnemental pour demander des mesures utiles, notamment contre Arkema. On avait prévu de déposer ça en mai 2022 et à ce moment-là il y a eu le reportage de Martin Boudot sur Vert de Rage qui a dévoilé le scandale des PFAS au sud de Lyon et on a été invité à la réunion publique à la maison de l’environnement. Et lors de cette réunion publique, on a rencontré les associations et certaines victimes. Et du coup, il y a certaines victimes qui se sont jointes, certaines associations qui se sont jointes à la plainte, au référé pénal.

Charlotte Simoni

Dans ses explications, Maître Tschanz évoque le référé pénal environnemental. Alors justement, à quoi sert-il ? Mais également, quels sont les autres outils de condamnation en droit pénal à disposition des avocats pour sanctionner les pollueurs ?

Louise Tschanz

Alors, qu’est-ce qu’on peut faire contre les pollueurs en droit pénal ? On peut porter plainte. On peut porter plainte soit contre X pour des sujets de pollution identifiés. Si une enquête est ouverte, ça permet aux juges d’instruction d’aller rechercher toutes les personnes potentielles qui ont participé à cette pollution. On peut porter plainte contre une personne en particulier, physique ou morale, et on peut aussi porter plainte avec constitution de partie civile, ce qui permet de faire ouvrir une enquête plus rapidement en général. On peut utiliser le référé pénal environnemental, qui est un outil prévu à l’article L216-13 du Code de l’environnement, qui permet de demander toute mesure utile en cas de non-respect du droit de l’environnement. Et ça peut aller jusqu’à la suspension du site qui n’a pas respecté le droit de l’environnement.

Charlotte Simoni

Autre point : le 11 avril 2024, l’Union européenne a adopté une nouvelle directive relative à la protection de l’environnement par le droit pénal. Alors justement, que va changer cette directive ? Quels sont ses objectifs principaux ? Mieux protéger le vivant ? Prévoir des sanctions plus lourdes, protéger notre santé, pénaliser des pollutions qui n’étaient jusqu’à présent pas répréhensibles, et surtout, cette nouvelle mesure est-elle une réelle avancée ?

Louise Tschanz

Alors c’est un texte qui est très intéressant, et c’est vrai que, j’en ai discuté avec des confrères, notamment un confrère qui était un ancien magistrat, qui – lui – disait que c’est un vrai changement culturel. Parce que c’est vrai que ce qui change beaucoup, c’est que maintenant on a la possibilité de faire pas mal de prison. C’est 10 ans de prison avec des peines maximales d’emprisonnement. Donc l’article 5 : « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour garantir que les infractions pénales ou certaines infractions pénales sont passibles d’une peine d’emprisonnement maximale d’au moins 10 ans si elle cause la mort d’une personne ». Et après, voilà, ça c’est quand même… assez fort on va dire en termes de signal civilisationnel sur le fait de dire « oui ,en fait tu peux aller en prison dix ans pour des atteintes à l’environnement ».

L’écocide, c’est quand on détruit intentionnellement des milieux naturels. C’est la flore, la faune. Et il faut qu’il y ait des atteintes qui durent au moins 7 ans. Et il faut que ce soit intentionnel. Si c’est le cas, ça peut constituer un écocide. Et ce délit est condamné par 10 ans d’emprisonnement. Et la peine d’amende est portée à 4,5 millions d’euros.

Charlotte Simoni

Justement, en parlant d’écocide, saviez-vous que Maître Tschanz a initié le premier dossier d’écocide en France ? L’affaire se déroule dans la petite ville de Grézieu-La-Varenne, où des maisons ont été construites sur les sols pollués d’une ancienne blanchisserie. Mais je laisse Maître Tschanz nous en dire plus, et vous allez voir, les conséquences pour la santé sont alarmantes.

Louise Tschanz

C’est un dossier de pollution au trichloréthylène ou au perchloréthylène. En fait, la pollution est prouvée depuis 1982, date du rendu d’un rapport d’expertise judiciaire. Donc les 7 ans sont bien remplis ! Et la pollution dure toujours aujourd’hui. Et l’ADEME considère que c’est du jamais vu en France des niveaux de trichloréthylène aussi élevés. En tout cas, au niveau de la santé, c’est cancérigène. Ça concerne notamment sur le cancer des reins. Ensuite, il y a aussi du perchloréthylène et après il y a tout le problème aussi d’autres polluants et aussi des problématiques de comment on évalue l’atteinte à la santé d’un cocktail de polluants parce qu’en fait tout ce qu’on a sur l’effet sur la santé des substances uniques, c’est molécules par molécules. On ne fait pas des cocktails et en fait, on ne connaît pas non plus le résultat d’une exposition chronique pendant 20 ans de deux enfants exposés aux polluants qui étaient in utero. Donc, c’est très complexe. C’est Madame Devers qui est venue me voir en me disant : « en fait, moi, j’ai découvert de la pollution et je suis allée voir ma voisine qui est à la retraite. Je lui ai demandé si elle était au courant et elle m’a tout déballé ». Et en fait, sa voisine avait elle-même attaqué pour pollution dans les années 80. L’entreprise de blanchisserie avait été condamnée et aucune dépollution n’avait été effectuée par la suite. Cependant, les propriétaires de l’usine avaient refait des lofts magnifiques qu’ils avaient revendus à prix d’or. Et voilà, c’est une affaire qui a défrayé la chronique dans le coin. Là, au civil, on a bien avancé quand même. C’est surtout au pénal que ça va se jouer.

Charlotte Simoni

Pour conclure cette interview, j’ai demandé à Maître Tschanz quel était son avis sur les deux faits d’actualité suivants : le premier, celui de la relaxe de la militante qui avait recouvert d’autocollants le tableau « Les Coquelicots » de Monet au musée d’Orsay. Et le second, celui de la contamination de l’eau au PFAS dans de nombreuses villes de France.

Louise Tschanz

Alors, sur la militante, franchement, j’espère bien qu’elle n’est quand même pas condamnée sur un truc qui a vraiment interpellé la société civile et qui n’a aucun impact sur rien, dans le sens où l’œuvre d’art n’a pas été endommagée. Il faut quand même se rendre compte qu’actuellement on a des ministres qui critiquent l’EFD, on a des gens qui détruisent des bâtiments publics de l’Office français de la biodiversité et qui ne sont pas du tout inquiétés. Je trouverais ça complètement choquant qu’une militante qui n’a rien brûlé, qui n’a rien endommagé, soit condamnée alors qu’en fait, tout ce qu’elle souhaite, c’est interpeler la société civile par rapport à un état d’urgence climatique et écologique qui est avéré, qui est documenté. Je regardais la dernière fois la page du collectif Scientifiques en rébellion : quand on a 1000 scientifiques qui font une tribune pour appeler la désobéissance civile parce que c’est la dernière étape qu’il reste pour faire évoluer les choses, je pense que c’est très bien qu’elle ait été relaxée.

Après, sur les polluants éternels dans l’eau potable, je pense que c’est le début d’un scandale sanitaire qui est aussi grave que l’amiante, voire plus, parce que tout le monde est touché, parce qu’on a tous des polluants dans nos corps et parce que ce sont des polluants extrêmement persistants. Et c’est là où on revient à la prévention. En fait, c’est quand même complètement absurde qu’on n’ait pas de réglementation à la hauteur sur les substances chimiques qui sont mises sur le marché. Il y a quand même quelque chose qui me laisse pantoise, c’est que la plupart des personnes pensent que si elles achètent quelque chose, c’est que c’est safe, parce que c’est sur le marché. En fait, pas du tout, pas du tout. C’est-à-dire qu’une poêle téfal qui est un peu grattée, on va manger des polluants éternels tous les jours et en fait c’est complètement dingue de devoir faire des recherches à chaque fois pour savoir si ce qu’on va acheter est sain.